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LES SILÈNES

Premier Naturaliste (fermant la fenêtre). — Nous avons un poumon assurément faible.

Le Diable (descendant de la table). — Pas toujours ! Si je suis assis dans un poêle bien bourré de feu, non !

Deuxième Naturaliste. — Comment ! Vous vous asseyez dans un poêle bien bourré de feu ?

Le Diable. — Oui, j’ai l’habitude de m’asseoir quelquefois là-dedans.

Troisième Naturaliste. — Remarquable habitude ! (Il le note).

Quatrième Naturaliste. — Pas vrai, Madame, vous êtes une femme de lettres ?

Le Diable. — Femme de lettres ? Qu’est-ce que cela veut dire ? De telles femmes le Diable les tourmente, mais Dieu préserve le Diable qu’elles soient le Diable lui-même !

Tous les Naturalistes. — Quoi ? Mais alors c’est le Diable ? le Diable ?

(Ils veulent s’enfuir).

Le Diable (à part). — Ah ! à présent je peux pour un coup mentir à cœur joie ! (Haut) Messieurs ! où courez-vous ? Calmez-vous ! Vous n’allez pas prendre la fuite devant un badinage que je fais avec mon nom ?

(Les naturalistes reviennent).

Je m’appelle Diable, mais je ne le suis véritablement pas.

Premier Naturaliste. — À qui donc avons-nous l’honneur de parler ?

Le Diable. — À Théophile-Chrétien Diable, chanoine du petit service ducal de ***, membre honoraire d’une société pour l’encouragement du christianisme sous les Juifs, et chevalier de l’ordre pontifical du mérite civil, qui m’a récemment, au moyen-âge, été conféré par le pape,