Page:Jarret - Moisson de souvenirs, 1919.djvu/92

Cette page a été validée par deux contributeurs.
94
MOISSON DE SOUVENIRS

pas qu’il grandissait beaucoup et je ne savais plus comment me le représenter. À l’église, j’étais si mal placée, qu’il me devenait impossible de le voir, lorsqu’il passait pour se rendre au jubé. Aussi, éprouvais-je un vrai besoin de déverser sur mère Saint-Blaise, le trop plein d’une affection que Jean paraissait fuir ; mais, comme par malice, cette dernière cessa bientôt de me réclamer sa lecture spirituelle. Elle conservait le même ton gracieux pour me dire bonjour lorsqu’elle me rencontrait, mais à cela près, se bornaient nos relations. Et je cherchais vainement en quoi j’avais pu lui déplaire. Était-elle fatiguée de m’aimer ou bien si elle découvrait enfin mes défauts ? Je devins très malheureuse et toute timide.

Le soir, les élèves couchées et les lumières fermées, à l’exception d’une veilleuse, une religieuse continuait de se promener lentement dans la grande allée, en égrenant son chapelet ; celui-ci terminé, elle regagnait sa cellule en passant par les petites allées, s’assurant ainsi que rien ne troublait l’ordre. Quand c’était mère Saint-Blaise qui surveillait, je me tenais éveillée de force, tant qu’elle n’avait pas disparu dans sa chambre ; au moment où elle allait longer mon lit, cependant, je feignais sagement de dormir, mais de l’avoir regardée longtemps, à la lueur indécise du lampion, me procurerait de beaux rêves, me semblait-il. Un soir, je m’oubliai et tandis qu’elle approchait, je la fixais de mes yeux grands ouverts, l’admirant de tout mon cœur. Elle eut un recul soudain, en me voyant, et angoissée :

— Vous êtes malade ?…