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MOISSON DE SOUVENIRS

Je le regardai.

— Quand tu reviendras, au mois de septembre, continua-t-il, tu ne me reconnaîtras plus.

— Pourquoi ? lui demandai-je, troublée.

— Parce qu’on m’aura redressé les yeux et que je porterai des lunettes.

Et il m’expliqua que c’était pour ménager ses yeux, aussi bien que sa santé en général, qu’il avait pris des leçons d’un professeur, toute l’année, au lieu de fréquenter l’école. Mais si l’opération réussissait, il entrerait au collège, en septembre et se trouverait dans la même classe que mon frère Gonzague. Tandis qu’il parlait, je n’avais pas détaché mes yeux des siens, soupirant par moments et le cœur traversé par la même étrange angoisse que devant les petites pliant leurs voiles.

L’opération réussit et nous avions bien hâte de nous revoir en septembre. Mais, sotte déveine, ayant manqué notre train, ma sœur et moi, nous arrivâmes une journée après la rentrée. Alors, faute de mieux, je me promis bien de découvrir Jean parmi les enfants de chœur qui rempliraient le sanctuaire, à la grand’messe. J’oubliais que Jean avait de la voix : à cause de cette particularité il fut de ceux qui montent au jubé, sans soutane ni surplis, en redingote d’uniforme, la ceinture de laine bleue nouée sur le côté et martelant de leurs talons le plancher de bois franc.

Le premier dimanche d’octobre, un peu avant que le prêtre ne montât à l’autel, sa voix fraîche et impeccable commença tout à coup :

Viens dans mes doigts, ô mon rosaire