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MOISSON DE SOUVENIRS

voir encore, élancé, mince, avec ses bottines chocolat, sa culotte grise, bouffante et le tricot de laine bleue qui moulait étroitement son corps gracile pour se terminer par un gros bourrelet autour du cou. Tante lui faisait dire du catéchisme et il récitait à pleine voix, en se promenant à grandes enjambées autour de la pièce, la tête basse et les bras ballants, comme s’il se fût moqué du monde entier.

Mais je n’ignorais pas pour qui étaient toutes ces prouesses : en effet, s’il approchait de la chaise où dormait le chat, d’un geste prompt, infiniment adroit, il posait l’extrémité de son pied sous le nez du matou ébahi ; s’il passait devant le porte-chapeaux, d’un bond, il attrapait le bonnet de loutre, à grandes oreilles pendantes de grand-père, s’en coiffait drôlement, tout en continuant de réciter à tort et à travers ; si la malheureuse chaise abandonnée par le chat se retrouvait sur son passage, il sautait par-dessus, s’embarrassait les pieds dans les barreaux, tombait, se relevait, faisait un tapage effroyable. Tante le reprenait, il n’écoutait pas. Elle se tenait à quatre pour ne pas tout laisser là et parfois, à bout de patience et de moyens, elle appelait à l’aide.

— C’est bon ! disait, du fond de la cuisine, grand-père occupé à corder proprement le bois de chauffage autour du poêle. C’est bon !

Et il venait pencher sa bonne figure dans l’encadrement de la porte.

— S’il continue, tu me le diras, Louise, et on ne l’emmènera pas à la Messe de Minuit.