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MOISSON DE SOUVENIRS

remit ma poupée, mais cette fois, ce fut moi qu’on enveloppa dans le châle blanc et malgré cette précaution, en sortant, le froid me saisit. Je me réchauffai sous la robe de carriole qui m’empêchait de voir les étoiles.

Mais au lieu de leur semis chatoyant, longtemps, longtemps, je contemplai, les yeux fermés, un blanc fantôme ayant formance de petit garçon lequel, rêveur, appuyé à la porte du salon de chez lui, nous regardait partir.


V


Revenue au couvent, j’eus une nouvelle période d’absence. À la chapelle, en classe, à l’étude, je traînais. En récréation, je rêvassais la plupart du temps, volontiers solitaire, gênée avec les petites filles. Mais en général, je prenais ma revanche la nuit : mes songes ne me ramenaient pas toujours les personnages de mes souvenirs, mais ils ne m’en rendaient pas moins l’exacte atmosphère de mon bonheur. Même levée, j’en demeurais comme étourdie et on me déclarait la plus lente à m’habiller.

Quand je n’avais pas assez joué en récréation et que, de retour en classe, l’air commençait à s’échauffer par suite de la présence de tous ces petits corps en vie, la réaction s’opérait brusquement et pour un rien, pour une méprise, pour une fillette qui éternuait de travers, je me voyais soudain terrassée par le fou-rire. Le fou-rire fut à la fois le délice et le tourment de mon enfance. La gaieté des autres était depuis longtemps éteinte, quand, tout à