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MOISSON DE SOUVENIRS

m’éveillai, je passais des bras de grand-père, dans ceux d’Omésie, debout à la porte du salon. Tante se rendait au piano suivie de Jean et grand’mère priait :

— Faites-lui donc chanter des noëls !

Soudain, je compris qu’on allait me coucher et furieuse, j’échappai aux bras d’Omésie, par un mouvement si vif et si brusque, que j’étais déjà assise sur ma chaise, avant qu’elle eût bien compris. On rit fort, on voulut se moquer, me raisonner : droite et têtue, je résistai à tout, attendant, mon Dieu ! avec impatience, que Jean se décidât de chanter. Il nous fit entendre tous les noëls connus, depuis le solennel Minuit chrétiens, jusqu’à Dans cette étable. Souvent, tous reprenaient en chœur, mais c’est au milieu du plus profond silence, qu’ensuite on écoutait sa voix pure et hardie, sa voix d’amande, simple voix d’enfant, mais qui faisait taire d’admiration. Son teint s’était rosé et il paraissait grave, un peu lointain, comme si les choses naïves, profondes et sublimes qu’il chantait, se fussent formées toutes seules en lui et qu’il en eût eu conscience. On lui permit enfin de se reposer et l’appelant près d’elle, grand’mère le tint longtemps embrassé, tout contre sa poitrine. Elle lui parlait ; tout le monde parlait maintenant, tandis que marraine se préparait à passer des liqueurs et Thérèse, des bonbons.

— Vas-tu avoir peur pour t’en retourner ?

C’était M. Saint-Maurice, le grand garçon maigre qui me parlait ainsi. Je me troublai, je répondis : « Je sais pas » et alors, je me rappelai qu’en effet, il faudrait s’en retourner et qu’ensuite,