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MOISSON DE SOUVENIRS

cée et finalement, il me tendit la feuille. J’étais représentée très droite, un peu ronde, la robe trop courte, un nœud immense sur la tête, le sourire indécis et sur les joues, deux taches délicatement nuancées et qui signifiaient ma rougeur de timide. Je dus montrer mon portrait à tout le monde ; on s’extasia, on assura que j’étais la mieux réussie. Moi, je ne me lassais pas de regarder le dessin. Ce n’était pas une étrangère, cette petite fille, c’était Marcelle en personne. J’éloignais la feuille, je la penchais, je fermais les yeux et puis, je les ouvrais brusquement pour voir si mon impression changerait…

Jean devait chanter et j’avais hâte. Enfin, sa mère se mit au piano et l’appela. À part nos grands-parents, Albert et M. Saint-Maurice, tout le monde se rendit aussi au piano. Tante distribuait des copies. Je n’y comprenais rien ; oubliait-on de m’inviter ? S’avisant tout à coup de mon isolement, grand-père vint m’enlever et m’assit sur ses genoux ; mais bientôt, ravie, puis bercée par ce que j’entendais, je trouvai meilleur de m’abandonner à ses bras qui me formaient un berceau solide. Je reconnaissais un chant dont j’avais pu recueillir des bribes toute la semaine, car on n’avait cessé de l’étudier autour de moi. Une seule voix formait la haute : celle de Jean ; tous les autres chantaient l’alto.

Glisse, glisse, traîneau rapide
La glace est perfide
Glisse, glisse, ma main te guide.
Vole léger traîneau,
Comme un oiseau.