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ENFANCE

Je m’aperçus tout à coup, que j’étais encore en chemise de nuit et que je marchais sur mes bas.

— Laisse donc, fit tante Louise qui, comme grand-père, était l’indulgence même. Je vais lui mettre son tablier à manches par-dessus.

Elle fit comme elle disait, après m’avoir rafraîchie d’un peu d’eau froide, ce qui me permit d’aller rejoindre les autres. Pendant le déjeuner, les plus jeunes se disaient sans vergogne :

— Il ne faut pas trop manger, à cause du dîner.

Car le dîner est le vrai repas du Jour de l’an, celui qui réunit toute la parenté autour de la table rallongée d’un ou deux panneaux, face à la dinde rôtie et bourrée de pommes de terre à la sarriette. À la dinde succèdent les pâtisseries, les fruits et les bonbons, et la prudence des enfants qui se gardent une place, n’est peut-être pas tellement inutile.

Parmi les robes que j’avais rapportées à la Toussaint s’en trouvait une que Thérèse m’avait défendu de porter : elle était de cachemire saumon, à taille longue et garnie d’une dentelle toute légère, alourdie de nœuds français. J’ai conservé la dentelle. Ma sœur, qui aimait fort à pomponner les enfants, se chargea de ma toilette. Ce ne fut pas long : Thérèse était vive comme les oiseaux ; et bientôt je me vis, tenant une forte mèche de mes cheveux — qu’elle avait séparés sur le côté, ainsi que le demandait la mode depuis peu — laquelle mèche, elle noua d’un ruban saumon, un peu plus foncé que ma robe. Puis, elle me revêtit de la fameuse robe elle-même. Que j’étais fière ! J’avais beau vouloir prendre sur moi, je ne pouvais m’empêcher de sourire. Je me rappelle vaguement notre