Page:Jarret - Moisson de souvenirs, 1919.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.
24
MOISSON DE SOUVENIRS

Ma tante entra en coup de vent, m’habilla à la hâte et après des adieux écourtés, je fus hissée sur le siège de la voiture, où mon oncle me retint d’un bras, afin que je ne fusse pas emportée comme un fétu, tandis que le cheval allait fond de train vers Saint-Claude. Et tous les saints du ciel, dont c’était la fête, durent regarder avec une infinie compassion, leur infortunée petite sœur de la terre, laquelle, ses mitaines devant la figure, achevait par de gros sanglots, son beau jour de joie.

Dès lors, ce fut fini, je ne pus reprendre le fil ; les mauvaises notes commencèrent à pleuvoir et mes maîtresses s’irritèrent contre moi. Plusieurs jours durant, je demeurai totalement absente, engluée dans mon rêve. Quel mal — mal dont j’ai la faiblesse de la bénir aujourd’hui — tante m’avait fait sans s’en douter ! Je me revoyais toujours là-bas, dans la maison aimée, sous l’égide de ma jolie marraine blonde et de parrain, si sympathique malgré son visage tourmenté. Je retrouvais Jean, je jouais avec lui ou bien nous nous regardions tous deux. Omésie m’apparaissait à son tour avec le bébé gentil et j’entendais l’horloge de la salle à manger, qui, en musique, sonnait les heures, les quarts et les demies. Le réveil s’opéra peu à peu, cependant, à mesure que les jours coulaient sur mes souvenirs. Le dégoût suivit, avec un accroissement de nonchalance et enfin, je redevins à peu près ce que j’avais été l’année d’avant.

Deux sœurs m’avaient précédée dans l’exode vers le couvent. Elles avaient, Thérèse seize ans et Amanda treize. Roseline, une autre sœur de quatorze ans, n’avait jamais quitté la maison, étant