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ENFANCE
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ni allure ; il exécutait des cabrioles ; sautait sur ses chevaux à berces qu’il lançait dans des galops imaginaires, les fouettait de larges claques, avec des exhortations à faire mourir de rire. Aussi bien, j’étouffais de gaieté ; encore fallait-il me sauver quand Jean approchait, car il avait la poigne solide et voulait à toute force m’associer à ses rudes jeux de garçon. Toute cette furie finit heureusement par se calmer et nous jouions tranquillement aux blocs quand Omésie vint nous chercher pour nous emmener aux vêpres.

Au retour, nous trouvâmes la porte fermée à clé : mon oncle et ma tante étaient sortis pour une visite et avaient pris avec eux, le bébé, le bon bébé qui ne s’était pas éveillé une seule fois de toute l’avant-midi. Il nous fallut attendre quelques instants, pendant qu’Omésie cherchait sa clé. J’étais transie. Il faisait déjà sombre. Le ciel était bas, nuageux. Bien des gens pensaient qu’il allait neiger.

Omésie nous fit nous réchauffer près du poêle, puis elle nous donna à manger : chacun un verre de lait avec une tartelette aux confitures, faite spécialement pour nous. C’était bon, quel dommage que j’eusse eu le cœur si serré. Car mon congé touchait à sa fin. Bientôt, je serais retournée au couvent. Et près de Jean, muet aussi, je ne parvenais pas à avaler. Cette pensée du départ m’oppressant de plus en plus, j’eus envie de déclarer mon malaise à Omésie en lui demandant de me coucher. Je ne sais quelle honte me retint.

Le dénouement fut rapide et tragique. Il était tard, mon oncle ne descendit même pas de voiture.