Page:Jarret - Moisson de souvenirs, 1919.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.
21
ENFANCE

d’une aventure mémorable, et puis la glace qui me reflétait jusqu’à la taille.

Étonnée, je me trouvais ravissante, croyant bonnement que c’était dû à la magie de ce jour ; d’autant plus, que j’étrennais : des bottines, une robe d’étoffe écossaise, un peigne rond pour repousser en arrière mes cheveux coupés court, à la Jeanne d’Arc. Si je me détournais un instant, je revenais vite au miroir, comme fascinée par la petite fille mystérieuse qui y baignait. Elle avait la figure pleine, le teint rosé, très délicat, les cheveux sombres, plats et lisses, les sourcils plus pâles, légers, presque droits, de doux petits yeux de pervenche et comme Jean, la bouche très mignonne, aux lèvres fines. Mais à cette petite bouche, se bornait notre ressemblance physique et tandis que lui ne cessait d’allonger, droit et svelte, je restais et devais hélas ! toujours rester petite. Mais en revanche, j’étais fort potelée et l’on ne manquait pas de m’en faire compliment.

De loin, nous entendions Omésie aller et venir à travers sa cuisine. Parfois, elle clenchait la porte de la dépense, remuait les ustensiles et si elle ouvrait le fourneau, il nous arrivait aussitôt, avec un grésillement, une forte odeur de « rosbif » : sans doute en mettrait-on sur la table avec des pommes de terre dorées, du céleri et un bocal de cornichons.

Rien qu’à voir l’aspect morne des maisons, le long de la rue, on devinait qu’il faisait très froid dehors. Dans la maison, non. Le calorifère bouillait et nous jouâmes à qui se tiendrait le plus longtemps les mains dessus. C’était toujours Jean et à la fin, elles passèrent du rouge au violacé, toutes