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JEUNESSE

répudiant encore de tout mon être, je m’habituai, en quelque sorte, aux mots nouveaux, les plus vilains de la langue, dont l’usage était devenu nécessaire. Enjouée par habitude, toujours un peu lasse, je compatissais, mais je ne souffrais plus.

La veille de Noël arriva. Brisée de fatigue, le soir, je m’étais jetée sur mon lit et endormie par surprise. Maintenant, je me levais ; il pouvait être dix heures et demie, je suppose, et j’entendais, venant de la bibliothèque, la voix rieuse de Thérèse. En quel honneur, était-elle ici ? Tout en revêtant ma robe, je fermai les yeux et j’eus, durant un moment, l’illusion troublante que mon enfance revenait, que ni Thérèse, ni Amanda n’étaient mariées, et que la table se couronnerait de jeunes têtes, au réveillon.

Tout à coup, un appel strident de la sonnette. Sans interrompre sa gaieté, Thérèse courut ouvrir et s’exclama, étonnée.

— Tu tombes bien, fit-elle, puisque j’allais justement partir. Tu n’aurais pas pu arriver un quart d’heure plus tôt, garnement ?

Je sortis en ce moment et stupéfaite, je me trouvai en face de Jean. Avec un petit sourire voulu, que je sentais trembler bien fort, je lui tendis la main.

— Et moi ? me réclama Thérèse, tu ne m’embrasses même pas ? Il y a bien une semaine et demie que je ne t’ai vue.

Et avec sa spontanéité irrésistible, elle prit elle-même l’initiative du geste qu’elle me proposait. Qu’avait donc Thérèse, ce soir ? Stimulée par ce fol exemple, Roseline s’approcha à son tour, puis