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MOISSON DE SOUVENIRS

ceux de M. Saint-Maurice fixés sur moi ; ils étaient remplis d’un peu d’étonnement, d’une sincère et tendre pitié, d’autre chose encore. Bien souvent, en songeant à sa malheureuse position, j’avais plaint M. Saint-Maurice du plus profond du cœur ; mais ce soir, au contraire, le visage me brûla et tout mon être intime se révolta si fort, qu’à jamais, je renonçai au mariage héroïque, pour Jean et pour moi.

Cependant, mon état empirait et je passais mes nuits en proie à une froide terreur qui se précisait par moments : je craignais la mort. Affaiblie, je la devinais toute proche et le seul mot de mort me retirait tout le sang du visage. Incapable de dessiner, je me défendais aussi de lire, par crainte de ce que les livres pouvaient renfermer et moi, l’amante passionnée de la solitude, je finis par rechercher avec âpreté le mouvement, le bruit des voix, ne désirant plus rien, autant que d’entendre vivre. Je souffrais de n’être pas devinée et après avoir essayé, plusieurs fois, des demi-confidences qu’on écouta distraitement, je me résolus tout à coup, à quelque chose de bien singulier et j’annonçai que je me rendais à Saint-Claude.

Là, frappé du changement qui s’était opéré en moi, on me demanda avec inquiétude : « Es-tu malade ? » Naturellement, je répondis non et j’étais sincère. Mais, m’ancrant de plus en plus dans ma résolution, en dépit de ma timidité toute revenue, un jour que je me trouvais seule avec grand’mère, je lui confiai que je dormais mal, la nuit, et que j’avais peur.