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MOISSON DE SOUVENIRS

cette indifférence ? Ou si ses sentiments s’étaient vulgairement transformés ? Ou si j’avais été naïve, présomptueuse et ridicule de toujours l’attendre, en me réservant jalousement pour lui ? Jusqu’ici, j’avais pensé, puisqu’il fallait bien imaginer quelque chose, que le point noir de notre destinée devait être cette parenté dont j’étais fière. Grand-père et grand’mère aussi s’étaient mariés étant cousins-germains. Mais alors, pourquoi grand’mère songeait-elle à nous détourner du chemin qu’elle-même avait suivi ? Je m’y perdais et je me répétais, gémissante : « Qu’adviendra-t-il de nous ? »

Quelquefois, aussi, je pensais à M. Saint-Maurice, toujours fidèle, et émue d’une tendre compassion, je me disais : « Si un obstacle nous sépare, Jean et moi, ne vaudrait-il pas mieux l’accepter ? » Jean aurait pu faire de même, un mariage de raison, un mariage héroïque : c’est très beau. Thérèse, on le chuchotait parfois, n’avait pas agi autrement et ma vie d’attente et d’angoisse me devenait intolérable et j’avais soif d’un grand devoir.

Certain soir, Gonzague enrhumé, préféra ne pas sortir et proposa une partie de fan-tan, avec des allumettes pour jetons. J’aimais le fan-tan qu’on pouvait jouer à plusieurs et qui distrayait sans grand travail de l’esprit. Placée près de la porte et redoutant le froid, je m’enveloppai d’une écharpe de légère laine blanche ; il faut bien se gâter un peu lorsqu’on est malade. J’éprouvais aussi un attendrissement exagéré à la pensée que le jeu me ferait du bien, en m’arrachant à moi-même et quoique