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MOISSON DE SOUVENIRS

— Il faut que tu sois sage, tu entends ?

— Oui papa.

— Pas de bruit !… commença-t-il encore, mais au lieu de continuer, il mordit sa moustache et battit vivement des paupières.

Grand’mère gravissait l’escalier à sa suite et je suivais, silencieuse. Sur le seuil de la chambre, Jean recula de plusieurs pas et se trouva près de moi : nous nous regardâmes, ébahis. Tante Hermine, pâle et fatiguée s’abandonnait sur les nombreux coussins dont sa chaise était garnie, tandis qu’un bel enfant rose dormait dans ses bras. C’était bien Lui ! Nous Le reconnaissions ! Alors, tandis que je tombais à genoux, Jean, transporté, tendit les mains et avec un accent de ferveur et de désir que je n’oublierai jamais :

— Tu L’as maman ? s’écria-t-il. Veux-tu me Le prêter ? C’est grand-père qui te L’a apporté, hein ? Il L’avait mis dans sa poche ? Ah ! je savais bien !


II


Cette année-là, nous ne passâmes pas nos vacances d’hiver en Canada. Oncle Xavier, l’associé de notre père, nous payait ces magnifiques étrennes : notre passage à tous les sept, les trois filles et les quatre garçons, aller et retour pour Lowell. Cependant, je ne profitai qu’à demi de sa munificence, car la veille du départ pour la rentrée, je tombai malade d’une bienheureuse rougeole, laquelle me valut un congé illimité à la maison. Guérie, je tremblais qu’on ne me renvoyât au couvent. Cette crainte, que je n’avouais pas, empoisonnait mes meilleurs