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MOISSON DE SOUVENIRS

Je ne sais ce qui passa sur ma figure, mais il pensa à me dire :

— Ce ne sera pas pour longtemps, tu sais. Crois-en ma parole.

Puis il me regarda, ses jolis yeux gris souriant, derrière la claire fenêtre du lorgnon.

— En tous cas, lui ordonnai-je, si tu t’ennuies, ne reste pas. Je n’ai pas envie, moi, que tu tombes malade.

Ce fut absolument tout ce que je dis de mes craintes, soit à Jean, soit à d’autres. Le poids en avait-il été trop lourd pour mes forces ? Probablement, car à mon tour, je m’alanguis. La chaleur me fatigua énormément, cet été-là, et le médecin ayant conseillé un repos à la campagne, on parla de m’envoyer à Saint-Claude. Je refusai sans hésitation, mais après Roseline, je partis à mon tour, pour une quinzaine à Sainte-Adèle, dans la villa du Foyer, d’où j’écrivis à Jean en lui annonçant cette villégiature inattendue. Il me répondit tout de suite, longuement, spirituellement, sur un ton d’abandon affectueux, correct et très fin et il m’apprenait que lui dépensait son été à voyager et à s’enthousiasmer des beautés de notre pays. Je lui expédiai ma deuxième lettre par retour du courrier ; mais cette fois, alors que je me faisais une fête incomparable de notre correspondance ressuscitée et des jouissances qui en naîtraient, cette fois, Jean tarda un peu à répondre et sa verve s’était étrangement compassée. Que faire ? J’hésitai, le cœur bien mal et je finis par prendre le mauvais parti : je lui écrivis encore. Sa réponse me parvint, deux