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MOISSON DE SOUVENIRS

Je regrettais souvent que Roseline n’eût pas appris à dessiner et malgré la crainte déprimante de me voir bientôt supplantée par mon élève, je lui offris sincèrement des leçons. Mais elle répugnait à l’effort et après quelques essais, elle abandonna tout. Cependant, elle ne s’intéressait que trop à mes productions qu’elle examinait longuement, surtout si elles étaient d’amour et qu’il lui arrivait aussi de critiquer avec une animosité que je ne comprenais hélas ! que trop bien.

— Comment se fait-il, me disait-elle parfois, que tu puisses ainsi imaginer des personnages qui s’aiment, toi qui n’as jamais été amoureuse ?

En contraste avec mes paysages, ordinairement calmes et reposés, mes petits « personnages qui s’aimaient, » eux, demeuraient, malgré moi, craintifs, attendant la foudre, ou bien déclaraient sincèrement leur malheur ; et Roseline restait rêveuse devant eux, soupirait, puis devenait triste ou méchante. J’aurais donné beaucoup pour pouvoir lui cacher mes dessins. J’aurais voulu les cacher à tous ceux qui me connaissaient, car rien ne me déconcertait autant que de m’entendre parler de ces choses par des familiers.

Si mes œuvres étaient tristes, ma vie, non, malgré de fréquents ennuis à vide, dégoûts qui passaient vite. Notre situation financière enfin améliorée, j’eus la fantaisie, à cette époque, de prendre des leçons de piano, écho attardé de ma déférence à l’égard de mère Saint-Blaise. Je m’y jetai avec fougue ; mais bientôt, trouvant comme Roseline, que les résultats appréciables venaient bien lentement, je m’affligeai d’abord des heures ainsi enle-