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ENFANCE

prîmes un rang et à distances irrégulières, au bord du chemin blanc, se levaient joyeuses, les maisons illuminées où l’on réveillonnait. Le froid était si vif, qu’en avalant de grosses gorgées d’air, j’avais l’impression de me désaltérer. Le cheval trottait toujours et secouait les grelots cristallins qui se plaignaient. Bientôt, nous dûmes traverser un petit bois sombre, retraite de mystère et grand’mère murmura sur un ton de satisfaction extrême : « Maintenant, le plus long est fait. »

Dès les premières maisons de Maricourt, le bourg où demeurait Jean, grand-père fit ralentir le pas à sa monture et bientôt, tandis que grand’mère, attendrie, souriait, les larmes aux yeux, grand-père tira sur les guides en disant : « Arrier ! Arrier ! »

Tante avait disparu et je regardais intensément, je ne sais pourquoi, le groupe que formaient grand’mère, oncle Ambroise, nerveux, le visage tourmenté et enfin Jean qui ne ressemblait ni à l’un ni à l’autre, si ce n’est par sa taille élancée. Ils ne parlaient pas et cependant, comme ils paraissaient se comprendre ! Comme ils étaient bien de la même race ! Le trait le plus vif, je crois, de leur identité morale consistait en cette sensibilité effrénée, sereine et presque sainte chez grand’mère, angoissée chez mon oncle Ambroise, mélancolique chez Jean.

— On vous attend, fit, du haut de l’escalier, tante Louise.

Aussitôt, mon oncle prit Jean par la main.

— Écoute, Jean…

— Oui papa.