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JEUNESSE

fenêtres de son salon, où se trouvaient déjà quelques personnes et en m’installant, elle me dit :

— Voici le petit coin que je t’avais réservé, Marcelle.

Le calme de l’air était si parfait, sous le soleil chaud, que les banderolles et les drapeaux semblaient morts. Toutes les fenêtres, toutes les portes, tous les balcons, et bientôt, tous les escaliers, débordaient de monde. La rue était également pavée d’une foule très dense, qui stationnait là, depuis déjà combien de temps ?…

Malgré moi, j’en revenais toujours au drapeau d’en bas et au temps où on l’avait apporté ici. Notre aïeul, à nous, faisait partie du régiment de Carignan et onze ans après son arrivée, il s’était marié à Ville-Marie même, dans l’église de la Paroisse, avec une jeune fille de dix-sept ans, Parisienne de naissance, qu’il avait emmenée vivre de l’autre côté, ou à peu près, du fleuve, dans ces îles un peu tristes où croît la salicaire. Quel avait été son dessein, en quittant le beau pays de France ? Espérait-il y retourner, un jour ? À quarante-cinq ans, il mourait. Et elle, la Parisienne ? « Peureuse comme toutes les Parisiennes, » disait avec quelque dédain, la trop brave Mlle de Verchères, qui lui avait donné hospitalité dans son fort — et qui s’était remariée après la mort de l’aïeul, pourquoi était-elle venue ici ? Avait-elle souffert ?

La procession qui arrivait à nous, m’arracha enfin à mes pensées. Trois de mes frères devaient marcher dans les rangs de l’A.C.J.C., mais je les cherchai inutilement parmi les jeunes hommes recueillis