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MOISSON DE SOUVENIRS
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Loin de m’abattre, toutes ces menaces augmentaient mon désir d’essayer. Que j’avais donc hâte de m’y mettre ! Tante me confia sous ses yeux, les plus petits, ceux qui apprenaient l’a b c et traçaient des bâtons sur leur ardoise ; mais en effet, ce fut tout de suite décourageant. Je ne parvenais pas à me faire entendre ; leur espièglerie m’intimidait et déconcertée pour un rien, j’avais à tout moment les larmes aux yeux. De plus, jeune et de petite taille, comme ma tante l’avait prévu, je devenais un objet de curiosité pour les grands. Que faire ? Mon amour-propre se trouvait à dure épreuve.

Tante, j’en suis bien sûre, ne conta mon échec à personne et ingénieuse dans sa bonté, elle essaya autre chose, afin de ne pas m’humilier. En sorte qu’un beau matin, je possédai, dans la pièce voisine de la sienne, une classe à moi, composée de six petites, les plus lentes à retenir leurs lettres, et de trois autres plus grandes, mauvaises têtes qu’il valait mieux écarter des autres. Et presque soudainement, sans comprendre comment la chose s’était faite, je me sentis maîtresse de la situation. Alors, ce fut délicieux ; je me multipliais auprès des petites que j’aurais voulu voir surpasser celles de tante. Pour réussir, je sondais mes souvenirs et tâchais de m’y prendre comme mère Sainte-Sabine avec ses têtes dures.

Isolées, les trois vilaines devenaient des anges et elles firent mon bonheur : Marguerite s’attacha à moi, de toute sa fougue un peu importune ; Herminie, défiante, hargneuse, mal aimée chez elle, pauvrette sans mère, paraissait reconnaissante et apaisée. Albertine, petit laideron sauvage, sans mère