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MOISSON DE SOUVENIRS
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Maricourt que je quitterais bientôt. L’hiver, quand on avait allumé les becs de gaz, dans la salle, et que le jour n’était pas tout à fait tombé, dehors, l’ombre, au-dessus de la neige, prenait une teinte bleue qui me torturait d’une nostalgie indéfinissable, la nostalgie peut-être, de ce que Jean avait chanté un jour :

Glisse, glisse, traîneau rapide

Ah ! si nous avions été petits, tous les deux, les belles glissades que nous aurions pu prendre sur la neige épaisse ! Jean aurait pu aussi, si nous avions été petits et libres, chausser ses patins, s’atteler au traîneau et me faire faire de beaux tours à travers les rues de Maricourt. Un jour, à la promenade, nous avions rencontré un garçonnet qui menait ainsi, à fond de train, sa petite sœur. Hélas ! Nous n’étions déjà plus enfants… Mais Jean n’en habitait pas moins ma pensée et quelquefois, rarement, car je n’étais pas pressée de vieillir, je me demandais ce que l’avenir pouvait bien nous réserver ?… Jean se ferait-il architecte comme son père ? De toute façon, il viendrait étudier à Montréal. J’aurais alors… Voyons, quel âge ? Dix-neuf ou vingt ans. Mon Dieu ! était-il possible que la petite Marcelle en vînt un jour, à avoir vingt ans ? Et je me dégoûtais : ce serait bien la peine, alors, d’avoir le bonheur à sa portée. On devait être si austère à vingt ans, avec une robe longue et plus de rubans dans les cheveux.

Après Pâques, ce fut la fonte des neiges, la débâcle, l’inondation annuelle qui nous priva de plusieurs