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XIX

Ma mère, commença, Jules, était la fille d’un professeur de musique québecois fort estimé mais assez peu fortuné, ce qui est fréquent chez les artistes. Unique survivante de cinq enfants, elle fut cependant adulée et comblée et c’est par ce chemin de roses sans épines qu’elle arriva au mariage.

Mon père s’était fait lui-même. D’abord notaire à la campagne, il épousa une héritière puis, devint veuf. À trente-sept ans, il se remariait à ma mère qui en avait vingt-trois. Leur entente fut de courte durée. Je ne sais par suite de quelle aberration, peut-être ne faut-il voir en cela qu’un malheureux effet d’atavisme, mon père s’adonna bientôt à l’abus des boissons alcooliques et, en quelques années il était devenu une ruine physique et morale.

Ma mère mourut de chagrin et peu après, mon père la suivait dans la tombe. Les circonstances les plus tristes présidèrent à sa mort. Un prêtre l’assista ; c’est mon unique consolation.

Voyez-vous maintenant, de quoi furent tissées mes premières années ? Mes souvenirs de la vie de famille ce sont les larmes de ma mère, les emportements grossiers de mon père puis, leur disparition presque simultanée. À douze ans, je n’avais plus pour veiller sur moi que mon grand-père maternel. À la demande, je crois, du P. Lafontaine, un condisciple de mon père, je fus placé au collège Sainte-Marie.

Les vacances, je les passai auprès de mon grand-père, tant qu’il vécut. C’était, lorsque je le connus, un vieillard morose et qui plein d’une sollicitude amè-