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que leur condition y soumettait étaient très supérieures à celles des existences similaires de notre temps[1].

Ces fortunes étaient souvent le résultat des faveurs dont les princes comblaient leurs courtisans. Fréquemment aussi la confiscation les transférait à d’autres. Telles furent les fortunes du cardinal Woolsey, le favori d’Henri VIII, en Angleterre, et de Mazarin en France.

Les apanages des princes du sang avant 1789 comprenaient un septième du territoire. Les domaines des ducs de Bouillon, d’Aiguillon et de quelques autres occupaient des lieues entières[2].

Ces fortunes-là étaient sans doute sympathiques à leurs contemporains par la prodigalité de leurs possesseurs ; mais là, comme dans bien d’autres cas, le peuple est victime d’un mirage. Les gens qui épargnent et constituent des capitaux lui sont en dernière analyse plus bienfaisants que ceux qui en détruisent par des dépenses exagérées. La preuve en est dans la misère des masses, qui, à cette époque, coïncidait trop souvent avec le luxe déraisonnable des grands seigneurs.

Il faut tenir compte néanmoins de deux faits pour apprécier sainement la distribution de la richesse à ces époques comparativement à la nôtre et les conséquences sociales des grandes agglomérations territoriales de l’ancienne société.

Les possessions des églises et des abbayes étaient les plus importantes. Jusqu’à une certaine époque du moyen âge, on avait pu évaluer l’étendue de la mainmorte ecclésiastique au tiers du territoire de l’Europe occidentale. Or des services publics et des subventions considérables aux classes pauvres étaient dispensés par la grande propriété ecclésiastique. Puis ces grands domaines, laïques ou ecclésiastiques, étaient pour la plupart fractionnés en petites et moyennes exploitations ; le système des tenures ou baux à long terme attribuait aux exploitants du sol une partie des avantages de la propriété. La substitution du fermage temporaire aux tenures,

  1. Leber, Essai sur l’appréciation de la fortune privée au moyen âge (2e édit., 1847) pp. 37, 58, 59. Cf. Baudrillard, Histoire du luxe privé et public, t. III.
  2. Taine, L’Ancien régime, p. 53.