Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/609

Cette page n’a pas encore été corrigée

de la remise pure et simple de leurs dettes à un moment donné. Les seuls débiteurs qui profiteraient d’une telle baisse seraient les emprunteurs à long terme, qui sont tous de très gros débiteurs, savoir : l’État et les grandes entreprises industrielles. Dans une entreprise de mine ou de chemin de fer, par exemple, le résultat bien certain de la combinaison serait de faire passer toute la valeur et la propriété de l’entreprise des mains des porteurs d’obligations aux mains des actionnaires, c’est-à-dire des petits capitalistes aux gros. Ainsi, comme faveur faite à l’État, cette combinaison s’inspire du plus mauvais communisme, et, comme faveur faite à certains particuliers, elle constitue un avantage de plus ajoutée à tous ceux dont disposent déjà les gros capitaux.

Il serait regrettable que le monde agricole français, trompé par l’étiquette des partis, se laissât séduire par les théories d’outre-Rhin, et que, pour parer à l’inconvénient momentané que l’agio sur l’argent entraîne dans les relations avec l’Inde, il poussât à une détérioration de notre système monétaire. On ne peut calculer les perturbations de toute sorte qui s’ensuivraient.

Un homme d’affaires éminent des États-Unis, qui est très protectionniste M. Carneggie, a déclaré qu’il considérait le libre monnayage de l’argent comme devant amener aux États-Unis une perturbation beaucoup plus grave que le retour du libre échange.

En sens inverse, M. de Laveleye, qui était libre échangiste, a soutenu que l’abandon du bimétallisme était la vraie cause du retour au protectionnisme qui s’est produit dans le monde entier depuis vingt ans. Si cette thèse était démontrée nous n’hésiterions pas à dire que nous considérons le système protectionniste comme beaucoup moins malfaisant que la perturbation de tous les rapports financiers qui résulterait de la révolution monétaire préconisée par les bimétallistes.

XII. — C’est une grande erreur de croire que la démonétisation de l’argent, en 1873, par l’Allemagne soit la cause de sa dépréciation. Elle avait commencé plusieurs années auparavant, dès que la grande production des mines du Nevada fut connue. C’est précisément pour couper court aux profits que des particuliers réalisaient en faisant monnayer l’argent, qu’ils avaient acheté à bas prix en barres, que l’Allemagne, puis l’Union latine, ont fait cesser sa frappe.

Quand on étudie l’histoire, on voit la confirmation éclatante de ce qu’enseigne la théorie, à savoir : qu’un seul métal peut être le dénominateur de la valeur. Depuis près de deux mille ans, c’est en fait toujours l’or qui a rempli cette fonction. Quand Constantin voulut rétablir le système monétaire, violemment troublé depuis deux siècles, c’est l’or qu’il prit pour base, et l’empire byzantin continua cette tradition. Après le treizième siècle, le florin d’or de Florence devint en Occident la monnaie du commerce international, l’étalon général de