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ce que la force des choses reprît ses droits et rendît à l’or le rôle dont on l’aurait dépouillé.

Nous voyons déjà quelque chose de semblable se produire aux États-Unis, quoique l’or et l’argent soient frappés concurremment et circulent comme monnaie légale ; depuis qu’il est question de reprendre le libre monnayage de l’argent, l’or a commencé à faire prime à New-York sur les silver certificates ; au mois d’août 1891 les prêts à 6 mois payables en or étaient faits à 4 1/2 p. 100 ; ceux payables en currency l’étaient à 6 p. 100 et le fait s’est reproduit depuis[1].

En attendant que l’or se cachât ou devînt un objet de luxe faisant prime pour les grandes affaires, la reprise du monnayage illimité de l’argent aurait pour résultat un renchérissement immédiat de toutes les marchandises. De là une activité factice donnée aux affaires. Mais les salaires et les prix des services de toute sorte ne hausseraient pas de longtemps dans une proportion équivalente : les représentants ouvriers au Reichstag se sont, pour cette raison, toujours opposés aux motions des Agrariens en ce sens. Ce parti, composé de grands propriétaires fonciers, se plaint de la concurrence que la Russie fait à ses produits. Le rouble-papier étant déprécié de 40 pour 100, les importateurs allemands de produits russes les achètent à peu près à moitié prix et nuls droits de douane ne peuvent neutraliser cette prime. Aussi les Agrariens, pour provoquer une hausse de leurs produits, réclament non seulement la remonétisation de l’argent, mais encore l’émission d’un milliard de papier-monnaie, que l’État leur prêterait à raison de 2 pour 100 et avec lequel ils rembourseraient leurs dettes ! Cela serait plus radical !

Le retour au monnayage de l’argent signifie une réduction des dettes des États et des particuliers, et il ne manque pas d’économistes de la nouvelle école pour invoquer en faveur de cette mesure beaucoup de beaux exemples tirés de l’antiquité grecque et romaine : lois agraires, abolitions des dettes. En Allemagne, où la dette publique est peu disséminée et où la grande propriété surtout est endettée par des emprunts à longues annuités contractés auprès des banquiers juifs, certains intérêts conservateurs s’imaginent trouver dans cette voie profit, sinon honneur. Mais, dans nos pays latins et notamment en France, la situation est tout autre. M. Léon Walras dit à ce sujet avec beaucoup de raison :

Les petits débiteurs sont ou des consommateurs ou des emprunteurs à courte échéance, qui ne retireraient en aucune façon d’une baisse progressive du pouvoir d’achat de la monnaie le soulagement qu’ils retiraient autrefois

  1. V. Correspondant du 25 novembre 1891 et the Economist du 13 février 1892.