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chose comme huit millions de livres (200 millions de francs)[1] !Il était impossible de mieux indiquer le marché de dupe que les bimétallistes anglais proposent à la France.

Il n’y a donc rien de sérieux dans l’agitation bimétalliste européenne et c’est avec un grand sens que M. Luzzati, dans la séance du Sénat italien du 26 janvier 1892, a repoussé les propositions de faire sortir l’Italie de l’Union monétaire latine sous prétexte de remédier au cours défavorable du change.

La perturbation causée par l’adoption d’une telle mesure, a-t-il dit serait des plus graves ; l’on verrait du jour au lendemain le prix de toutes les choses monter de 20 p. 100, ce qui serait on ne peut plus préjudiciable aux salariés. Au mouvement artificiel que la mesure provoquerait tout d’abord, succéderait une grande dépression par suite de l’isolement auquel nous nous trouverions nécessairement réduits.

Et une fois que l’équilibre serait rétabli entre le prix des choses, les salaires et le reste, — ce qui arriverait assez rapidement dans un pays de 3o millions d’habitants entouré d’États possédant l’étalon d’or, — tout avantage apparent ne tarderait pas à disparaître[2].

Si la France se laissait engager dans une union monétaire avec les États-Unis, basée sur la reprise du monnayage de l’argent, elle en serait la dupe et se verrait à l’expiration de cette union, — car des traités de ce genre ne peuvent être perpétuels, — dépouillée de tout son or et envahie par l’argent américain. On aurait beau déclarer internationalement que l’argent vaut monétairement une quantité donnée d’or, cela n’empêcherait pas l’or d’avoir en lingots et comme marchandise une valeur supérieure. Les pièces actuelles seraient fondues et le stock d’or se concentrerait dans les pays, comme les États-Unis et l’Australie, où les prix sont plus élevés et où les deux métaux sont produits par les mines. M. de Laveleye le reconnaît lui-même. Le rapport du Secrétaire du Trésor des États-Unis pour 1886 vante naïvement l’habileté que les Américains ont eue en 1834 de se débarrasser de leur argent et de garder leur or, en établissant le monnayage des deux métaux sur le rapport de 1 à 16, tandis qu’il était en France de 1 à 15 1/2. C’est la France, qui se chargea d’absorber leur argent, et cela a duré jusqu’en décembre 1874, au grand profit de tous les spéculateurs. Même sous l’empire d’une convention internationale,

  1. V. the Economist des 30 janvier et 5 mars 1899.
  2. Les mêmes raisons s’appliquent à fortiori à la Russie. Elle n’améliorerait nullement le cours du rouble-papier par l’adoption de l’étalon d’argent. Si jamais elle sort du papier-monnaie, ce sera pour adopter l’étalon d’or. Elle y a un grand intérêt ; car ses mines produisent annuellement pour cent millions de francs en or et elle peut espérer que de nouvelles découvertes et le développement des voies de communication augmenteront cette production. V. A. Raffalovich, le Marché financier en 1891, p. 93.