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considérablement leur stock d’or, depuis la reprise des paiements en espèces. Le 1er janvier 1879, il était de 278.310.000 dol­lars et le 1er juillet 1890 de 629.932.449 dollars. Si l’Europe ne s’appauvrit pas absolument de monnaie, comme le prétend M. de Laveleye, au moins elle défend à grand’peine les stocks existants. MM. Kimball et Sauerbeck, dont les appréciations sont plus modérées, le reconnaissent eux-mêmes. Et comme l’argent, depuis 1873, a cessé d’être un instrument d’échange sur le marché international, l’on en conclut à la disette de monnaie.

VIII. — Malgré ce qu’a de spécieux le rapprochement de ces dates et de ces chiffres, la cause principale de la baisse des prix ne doit pas être attribuée à une contraction monétaire. Elle provient des changements réalisés partout dans les conditions de la production. Qu’on prenne l’une après l’autre les cent marchandises dont l’Economist de Londres déduit ses index numbers, et l’on verra que, pour presque toutes, depuis le blé et la soie jusqu’au fer et au cuivre, des causes spéciales ont diminué considérablement le coût de leur production. Les frais de revient se sont en outre abaissés pour toutes les marchandises sur les grands marchés européens par la diminution du fret maritime et des tarifs de chemins de fer, par le développement des communications postales et télégraphiques, par la circulation plus active des échantillons et des commis voyageurs. Il en est résulté une nouvelle organisation commerciale dans laquelle une foule d’intermédiaires, courtiers, consignataires, commissionnaires ont disparu. D’autre part, la demande de capitaux, nécessitée par les constructions de chemins de fer et par le renouvellement de l’outillage industriel, est bien moindre qu’il y a vingt ans, alors que l’industrie moderne se créait de toutes pièces. Les chemins de fer à voie étroite que l’on fait en France, les lignes stratégiques que construit l’Allemagne, les dépenses d’armement que font tous les gouvernements, ne donnent qu’une activité factice à l’industrie. Enfin, depuis 1871, il n’y a pas eu de grandes guerres comme celles d’Orient, d’Italie, de la Sécession, de 1866, de 1870, qui avaient amené le renchérissement d’une foule de produits.

Prétendre que le grand commerce manque de monnaie parce que pendant dix ou quinze ans la production de l’or a fléchi, c’est exagérer l’influence que la quantité de monnaie a sur les prix. La hausse des prix n’est jamais strictement proportionnelle à son augmentation, l’expérience de tous les temps l’a prouvé, parce que de nouveaux besoins se manifestent et que de nouveaux courants commerciaux se créent. En sens inverse, une légère diminution dans la production annuelle de la quantité de monnaie ne suffit pas pour provoquer la baisse des prix. Les stocks monétaires anciens se maintiennent, sauf