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à Bilbao, de 1854 à 1860, le prix de la viande, du pain, des œufs a doublé. En Irlande, les prix ont triplé entre 1847 et 1867[1]. En France, il en a été de même dans les départements du centre. C’est dans la profondeur des terres, si l’on peut ainsi parler, que l’action des découvertes d’or s’est fait surtout sentir. Tout homme d’un certain âge en interrogeant ses souvenirs peut se rendre compte du changement dans les habitudes et les mœurs que l’augmentation du numéraire a produit. Son action a été égale à celle des chemins de fer. Tout un état économique, dont les nouvelles générations ont peine à se faire une idée, a disparu. Les niveaux des prix, au moins dans l’Europe occidentale, sont désormais assez établis pour que les variations monétaires n’y produisent plus de changements aussi considérables.

Les calculs que nous avons cités portent uniquement sur des produits de l’agriculture ou des manufactures. Ils laissent de côté les frais de transport, les salaires des ouvriers, les gages des domestiques, les loyers. Or, sur ces trois dernières catégories de prix, la hausse a été beaucoup plus importante. En Angleterre, depuis 1837, selon MM. Leone Lévi et Giffen, l’élévation des salaires agricoles a été de 60 pour 100 et de 50 à 100 pour 100 pour les ouvriers des manufactures. En France, d’après M. Émile Chevalier, la hausse des salaires agricoles dans les provinces reculées, comme l’Anjou ou la Bretagne, a été de 100 pour 100 environ ; pour la petite industrie, elle a été en moyenne de 48 pour 100 à Paris et de 63 p. 100 dans les chefs-lieux de départements ; pour les ouvriers du bâtiment, elle est de 100 pour 100 à Paris, de 72 pour 100 en province. Les salaires de la grande industrie se sont élevés dans des proportions très diverses suivant les localités et suivant les conditions du travail : elles varient entre 42 pour 100 et 104 pour 100[2]. M. Leroy-Beaulieu estime leur hausse d’une manière générale à 80 pour 100.

En Allemagne, la hausse a été encore plus forte dans cette période pour tous les salaires ; elle a dépassé 100 pour 100.

Sans doute, ces chiffres, déduits de très nombreux relevés, peuvent ne pas concorder avec la situation des ouvriers de telle ou telle industrie. La hausse a été beaucoup plus accentuée sur les salaires inférieurs que sur les salaires supérieurs, sur ceux des manouvriers[3] que sur ceux des artisans d’élite. Le même phénomène se produit sur les marchandises. Dans les mouvements de hausse générale des prix,

  1. V. Cliffe Leslie, Essays in political and moral Philosophy (Dublin, 1879).
  2. Les salaires au xixe siècle (A. Rousseau, 1887).
  3. Néanmoins, certaines professions, qui sont le refuge du résidu social dans les grandes villes, ont échappé à cette action bienfaisante et ont été ravalées d’autant plus par comparaison (chap. i, § 7).