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nombreux, qui prétend que la véritable cause de cette baisse des prix est due à ce que l’argent n’est pas monnayé en assez grande quantité. Les cultivateurs ignorants, qui composent les cadres de cette curieuse manifestation de la démocratie agraire appelée la Farmer’s alliance, demandent que le Congrès ordonne la frappe illimitée de tout l’argent qu’on apporterait aux hôtels des monnaies.

Ces idées ont trouvé de l’écho en Europe. Certains gouvernements embarrassés dans leurs finances, comme l’Italie et l’Espagne, s’imaginent qu’ils trouveraient une amélioration à leur situation dans la reprise du monnayage libre de l’argent. Quelque erronée que soit cette vue, on la comprend de leur part. On s’explique moins d’abord comment ces idées ont trouvé crédit en Angleterre, où depuis 1816 l’or est seul la base du système monétaire[1]. Mais l’Angleterre est atteinte par le contre-coup des souffrances de sa grande colonie. Contrairement aux vieux préjugés sur la balance du commerce, l’Inde ne s’enrichit nullement par ses grands excédents d’exportation. Comme elle est fortement endettée et qu’elle a à payer, en or, à Londres, les intérêts de ses emprunts, elle perd, chaque année, plus de 100 millions de francs sur le change, ce qui met en désordre ses budgets et oblige à augmenter les taxes. Les fabricants de cotonnades de Manchester sont aussi atteints dans leurs intérêts par la baisse du change indien. Toutes les marchandises qu’ils vendent dans l’Inde leur sont payées en roupies d’argent qui ont de moins en moins de valeur, ce qui les force à hausser leurs prix. D’autre part, les fabriques de l’Inde ont une prime indirecte pour les exportations de cotonnades qu’elles commencent à faire en Chine et au Japon. Cela fait l’effet pour elles d’un tarif protecteur[2]. Aussi est-on à Manchester grand partisan sinon du retour au monnayage de l’argent pour la Grande-Bretagne, au moins d’un arrangement quelconque de la situation. Le ministère Salisbury, en 1887, a constitué une commission royale pour étudier la question. La commission a été composée avec une grande impartialité et naturellement elle s’est partagée en deux fractions à peu près égales. L’une a conclu en faveur du maintien du système monétaire basé exclusivement sur l’or, l’autre en faveur d’une remonétisation de l’argent par un accord universel, mais en réservant expressément la question de savoir s’il n’y aurait pas lieu d’établir entre l’or et l’argent un rapport autre que celui adopté par l’Union monétaire

  1. L’acte de 1844 autorise la Banque d’Angleterre à avoir un cinquième de sa réserve métallique en argent ; mais depuis 1853 elle a cessé d’user de cette faculté. (V. the Economist, 3o janvier 1892.)
  2. La partie du rapport de la Royal gold and silver commission de 1888, qui décrit ces phénomènes commerciaux, a été reproduite dans le Journal des économistes de mars 1888.