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français croyaient que c’était là la cause principale de leurs souffrances. M. de Soubeyran a porté plusieurs fois leurs doléances à la tribune. Pour acheter, disait-il en 1887, dans l’Inde 100 kilogr. de blé, il faut payer 8 roupies d’argent. La roupie valait 2 fr. 40 jusqu’en 1873, quand l’argent n’avait pas été déprécié. L’importateur européen, qui allait chercher du blé à Bombay ou à Kurrachee, le payait donc 18 fr. 40 ; aujourd’hui que l’argent a perdu 22 1/2 pour 100 de sa valeur, on trouve sur le marché de Londres des lingots qui font ressortir la roupie à 1 fr. 83 et, par conséquent, le prix du quintal de blé à 14 fr. 65 seulement. Il y a donc de ce chef une prime à l’exportation des produits de l’Inde et à leur importation en Europe de 20 pour 100 au moins ; plus l’argent se déprécie, plus elle s’accentue. M. de Soubeyran ajoutait que la dépréciation de l’argent provenait de la suspension de sa frappe libre en écus depuis 1874[1]. D’après lui, il n’y avait de salut que dans le droit rendu à tout particulier de faire frapper à la Monnaie des pièces de 5 francs avec une quantité de métal que chacun peut acheter pour 3 fr. 65 en or[2]. L’argument aurait aujourd’hui plus de force encore ; car la dépréciation de l’argent s’est accrue et la roupie est tombée à Londres à 1 fr. 60. Mais les circonstances, qui avaient fait des importations de blé indien le facteur prépondérant du prix des céréales sur nos marchés, ne s’étant plus reproduites[3], cet aspect particulier de la question attire moins maintenant l’attention en Europe[4].

Aux États-Unis, le grand développement économique du pays, l’extension du réseau des chemins de fer, l’abondance plus grande des capitaux ont amené la baisse des principaux produits d’exportation, principalement des céréales, et il s’est formé un parti de plus en plus

  1. En France, à partir de la fin de 1874, la frappe des écus d’argent a été interdite aux particuliers, et une convention du 25 février 1876 a limité leur frappe par les gouvernements de l’Union monétaire latine dans des proportions fixées. C’est seulement la convention du 5 novembre 1878, qui, dans tous les Etats de l’Union monétaire latine, l’a suspendue absolument.
  2. Le marché des métaux précieux est établi à Londres. L’argent y est coté par once standard de métal fin. Quand il est à l’or dans le rapport de 1 à 15 1/2, qui est la base du système monétaire français, l’once vaut 60,84 pences. Le 30 mars 1892 elle a été cotée 39 pence. A Paris le kilogramme d’argent, qui, au pair, vaudrait 218 fr. 89, éprouve, à la même date, comparativement à ce cours une dépréciation de 342 à 347 pour 1.000.
  3. Voy., sur les conditions dans lesquelles l’Inde peut exporter des quantités considérables de blé, notre article dans le Correspondant du 25 avril 1889.
  4. Le même phénomène se produit dans le commerce de l’Europe Occidentale avec la Russie par suite de la dépréciation du rouble-papier, la seule monnaie intérieure de ce pays, comparativement aux espèces métalliques. Plus de rouble-papier est bas, plus les importateurs en Europe de blés russes ont d’avantage à les acheter et plus ils développent ces importations. Les agriculteurs allemands et français n’ont pas encore trouvé un moyen à recommander pour relever le cours du rouble-papier.