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que dans les autres pays de l’Europe occidentale, prépare des mesures hardies pour reconstituer la petite propriété rurale. Déjà elle a par la législation sur les allotments donné aux autorités locales le moyen d’établir des habitations ouvrières, entourées des quelques ares nécessaires à la nourriture d’une vache, et d’en assurer la jouissance perpétuelle à des familles par des baux emphytéotiques.

Les préjugés qui régnaient autrefois contre la propriété collective, contre la mainmorte, pour l’appeler par son nom, ont disparu, au moins dans les régions éclairées[1]. On a compris qu’elle ne profitait pas seulement à l’Église, mais aussi aux classes moyennes et inférieures. Elles sont aujourd’hui les plus intéressées à sa reconstitution et le grand mouvement de formation de sociétés ouvrières, de syndicats professionnels de toute sorte, auquel nous assistons, sera bienfaisant, seulement dans la mesure où ces associations devenant propriétaires seront intéressées à la conservation de l’ordre social. M. Léon Say, dans un programme de gouvernement très remarqué, l’a fort bien dit :

Nous ignorons l’avenir de la mainmorte. La mainmorte cléricale deviendra peu de chose peut-être en comparaison de la mainmorte laïque et sociale. N’avons-nous pas entendu, à l'Exposition d’économie sociale, les Prévoyants de l’avenir nous expliquer que leur but était de créer une mainmorte ouvrière. Ils disaient que si leurs devanciers avaient commencé, il y a un siècle, leur entreprise d’aujour­d’hui, ce serait par milliards qu’on compterait la mainmorte ouvrière…

D’un autre côté, que de mainmortes nous font défaut pour perfectionner notre outillage d’améliorations sociales prudentes, sincères, réfléchies. N’entrevoyez-vous pas le nombre d’établissements d’utilité publique que l’initiative individuelle pourrait faire sortir d’une législation pratique et libéralement conçue, permettant à tout le monde de remplir ce qu’on a si justement appelé un devoir social et donnant aux travailleurs qui agiraient pour eux-mêmes des moyens efficaces d’améliorer leur sort[2] ?

  1. V. entre autres dans le Nouveau Dictionnaire d’économie politique (Guillaumin, 1889-1892), les articles fondations et mainmorte, il est curieux de les comparer aux mêmes articles dans l’Encyclopédie.
  2. Journal des Economistes d’octobre 1890.