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du programme de Bastiat, qui voulait une loi de douanes se résumant en ces termes : les objets de première nécessité paieront un droit ad valorem de 5 pour 100 ; les objets de convenance 10 p. 100 ; les objets de luxe 15 à 20 pour 100.

Le nouveau tarif est un tarif de cherté sur tous les objets destinés à l’alimentation publique : il rend encore plus lourde en s’y additionnant la charge de l’octroi. Or, l’octroi mérite toujours le jugement sévère que M. Frédéric Passy portait sur lui, il y a bien des années :

L’octroi renchérit la vie des classes ouvrières et fait retomber sur elles le principal poids du fardeau ; ces taxes sont fatalement et souvent à double titre des impôts progressifs à rebours. Faire porter l’impôt sur des dépenses communes à tous, dont personne ne peut s’abstenir ; grever le nécessaire et frapper le besoin ; mettre, sous prétexte d’égalité, au même niveau devant l’impôt, la famille où le nécessaire est tout et celle où il ne représente que le dixième ou le vingtième de la dépense annuelle ; s’en prendre ainsi, non aux ressources du contribuable, mais aux existences elles-mêmes, c’est établir de vraies capitations, ou, pis encore, c’est baser un impôt en raison inverse des facultés ou des revenus.

En vain, pour échapper aux responsabilités résultant de l’établissement ou du maintien de pareils impôts, prétend-on que les travailleurs en rejettent le poids définitif sur les consommateurs riches par l’élévation du prix de leur main-d’œuvre. Cette répercussion n’est jamais complète. Elle ne s’opère pas pendant les temps de chômage ni pendant les périodes de dépression industrielle où le salaire tend à baisser. Les vieillards, les femmes, les enfants n’en profitent pas. C’est en cette matière qu’il faut avoir un certain radicalisme, c’est-à-dire le courage de tirer les conséquences des principes et de les appliquer[1].[fin page552-553]

  1. Un économiste italien de grande distinction, le marquis Vilfredo Pareto, a établi par la méthode monographique la somme d’impôts que payait une famille ouvrière en 1889 en Italie. La famille A d’artisans, composée de quatre personnes entièrement laborieuses et économes, a gagné 2.380 francs. Elle paye en impôts divers 565 fr. 63 centimes, ce qui ne lui laisse qu’une épargne disponible de 24 fr. 70 ; or, cette famille ne fume ni ne consomme d’alcool ; elle échappe par conséquent à deux des principaux impôts. Une famille d’ouvriers anglais dans une condition analogue, habitant Londres et dont le budget a été dressé par miss Miranda Hill a un gain annuel de 19/15 francs, sur lesquels elle paye seulement 84 fr. 05 d’impôts. V. Journal des Economistes de sep­tembre 1890.