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du marché anglais, et, dans un siècle, il y aura sans doute à Moscou une bourse rivale de celles de Paris et de Londres[1].

Il est impossible d’empêcher le jeu et même certaines manœuvres d’agiotage, qui se mêlent inévitablement à la spéculation, pour deux raisons : d’abord parce qu’on frapperait du même coup toutes les opérations à terme indispensables au service d’approvisionnement et aux besoins modernes de mobilisation des fortunes ; en second lieu, parce qu’aucune force au monde ne peut empêcher des gens de se réunir sous l’égide de la bonne foi et de faire des transactions qui ne sont pas malhonnêtes en soi et pour chacun individuellement, encore que la loi civile les improuve.

Proudhon, le sophiste imperturbable, a soutenu qu’il était impossible de toucher aux marchés à terme qui sont l’essence de la spéculation, à moins qu’on ne supprimât la monnaie, l’intérêt du capital et la propriété. S’il a décrit avec tant d’exactitude le mécanisme des opérations de bourse, c’est pour s’en faire une arme contre l’ordre social tout entier[2]. En cela, il allait à l’encontre de l’opinion de certains économistes, comme J.-B. Say, Mac-Culloch, Courcelle-Seneuil, qui, émus des effets funestes de l’agiotage sur les affaires, ont cru que le législateur pourrait y couper court en supprimant les marchés à terme[3]. Mais les hommes pratiques, comme le chancelier Daguesseau, Mollien, de Villèle, ont toujours estimé qu’il était impossible de régler le commerce des actions. « Si l’on connaissait un moyen de proscrire l’agiotage en laissant la spéculation libre, il faudrait l’accueillir avec autant d’empressement qu’on recevrait le

  1. L’oukase par lequel le Tzar a ordonné la construction du chemin de fer Transsibérien (juin 1891) insiste sur ce que cette grande entreprise sera exclusivement russe et ne fera appel à aucuns capitaux étrangers. Cette déclaration est prématurée ; mais elle témoigne du besoin d’indépendance financière qu’éprouve le gouvernement russe.
  2. Manuel du spéculateur à la Bourse, pp. 35, 36, 87.
  3. J.-B. Say, Cours complet d’Economie politique. 8e partie, chap. xv. Courcelle-Seneuil, Traité théorique et pratique d’Economie politique (2e édit 1867, Guillaumin), t. II, pp. 252 à 255.