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souvent sans discernement, mais avec un fond de vérité assez grand pour émouvoir un public dans les rangs duquel les victimes sont nombreuses.

Un fort enseignement moral sur les conditions d’acquisition de la richesse et sur son usage est d’autant plus nécessaire que les formes modernes de la richesse, valeurs mobilières, sociétés anonymes, crédits en banque, ne placent pas leurs possesseurs sous les yeux et le contrôle de leurs concitoyens, comme la propriété de la terre et l’exercice des industries manufacturières. Les habitudes cosmopolites, que les hautes classes tendent à prendre, facilitent singulièrement l’immoralité dans l’acquisition de la richesse et l’égoïsme dans son usage. On échappe par un déplacement aux légitimes censures du voisinage.

C’est ce fait contemporain qui a amené récemment des hommes éminents, M. Gladstone, le cardinal Manning, à rappeler ses devoirs à la richesse irresponsable. Avant eux M. de Molinari avait écrit à ce sujet des pages que nous aimons à rappeler pour l’honneur de la science économique :

La fonction du capitaliste implique encore des obligations morales ; en d’autres termes elle lui impose des responsabilités dépassant de beaucoup celles qui pèsent sur les autres catégories du personnel de la production. Le fondateur ou l’entrepreneur, par exemple, conçoit une affaire ; mais le capitaliste seul possède les moyens de faire passer son idée du domaine de la spéculation dans celui des faits ; seul il peut appeler une entreprise à la vie et lui fournir les moyens de subsister. Il est donc principalement responsable des maux et des dommages qu’elle cause. S’il a entre les mains un instrument investi d’une puissance extraordinaire, sa responsabilité est proportionnée à cette puissance. On s’explique ainsi que la conscience de tous les peuples ait flétri l’usure, c’est-à-dire l’abus que le capitaliste fait de son pouvoir en exploitant, en l’absence du régulateur de la concurrence, le besoin ou l’imprévoyance de l’emprunteur. Un jour viendra aussi où cette même conscience publique éclairée par la science fera peser sur les capitalistes, qui commanditent ou subventionnent des guerres ou d’autres nuisances, une réprobation analogue à celle dont elle ajustement flétri les usuriers[1]. [fin page542-543]

  1. L’Evolution économique au xixe siècle (1879, Guillaumin).