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le capital ne fait plus un prélèvement aussi considérable.

La belle image de Turgot est toujours exacte :

On peut regarder le taux de l’intérêt comme une espèce de niveau au-dessous duquel tout travail, toute culture, toute industrie, tout commerce cessent. C’est comme une mer répandue sur une vaste contrée :les sommets des montagnes s’élèvent au-dessus des eaux et forment des îles fertiles et cultivées. Si cette mer vient à s’écouler, à mesure qu’elle descend, les terrains en pente puis les plaines et les vallons paraissent et se couvrent de productions de toute espèce. Il suffit que l’eau monte ou baisse d’un pied pour inonder ou pour rendre à la culture des plaines immenses. C’est l’abondance des capitaux qui anime toutes les entreprises et le bas intérêt de l’argent est tout à la fois l’effet et l’indice de l’abondance des capitaux.

Le jour où l’intérêt des capitaux tombera à 2 p. 100, que de chemins de fer d’intérêt local pourront être ouverts, que d’inventions bienfaisantes pourront être réalisées[1] ! Ce jour-là verra sans doute la vive reprise de l’agriculture européenne fécondée par le capital et par la science.

Sans doute cette baisse du taux de l’intérêt est due en partie à ce que les capitaux sont appliqués à de nouvelles entreprises moins lucratives que les premières. Des économistes de talent ont insisté sur cet aspect de la question[2] ; mais du moment que les capitaux en quête d’un emploi sont obligés de se contenter d’un profit peu élevé, parce que sans cela ils ne trouveraient pas tous à se placer, les entreprises les plus lucratives peuvent elles aussi se procurer des capitaux à ce taux réduit. En effet, pas plus pour l’argent que

  1. Le professeur John B. Clark expose avec raison qu’un grand accroissement du capital ne multipliera pas seulement les outillages existant actuellement, mais qu’il prendra la forme d’outillages nouveaux destinés principalement à diminuer l’effort du travail ou à augmenter les jouissances humaines. V. the Quarterly Journal of Economics de Boston, d’avril 1891. De grandes inventions dans cette direction emploieraient beaucoup de capitaux et par là-même empêcheraient le taux de l’intérêt de baisser jusqu’au point où l’avantage à capitaliser disparaîtrait.
  2. V. l’Avilissement de l’intérêt, ses causes et sa durée probable, par d’Aulnis de Barrouil, professeur à l’Université d’Utrecht, 1889. Un résumé en a été donné par M. Secrétan dans la Revue d’économie politique de septembre-octobre 1889.