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universel et secret, avec ses facilités d’instruction pour tout homme intelligent, a donné à tous une indépendance politique et intellectuelle, qui était inconnue aux clients dans l’ancienne société. Ce sont de nouveaux éléments sociaux que le mouvement démocratique et l’évolution économique moderne ont développés en même temps.

Aux deux extrémités géographiques du monde, la Russie et certaines parties des États-Unis nous montrent les contrastes les plus saillants entre la pauvreté du grand nombre et la richesse de quelques-uns. En Russie, les réformes libérales d’Alexandre II n’ont pu encore atténuer, même au bout de trente ans, l’écart énorme qui séparait les serfs des seigneurs et des hauts fonctionnaires enrichis sur le budget. Les classes moyennes, qui n’existaient pas, commencent à peine à se constituer par le développement de l’industrie, malheureusement en grande partie avec des éléments étrangers.

Aux États-Unis, la conquête subite de tout un continent par les chemins de fer et par les sociétés de colonisation, a constitué dans les anciens États de l’Est au profit d’un petit nombre de spéculateurs, puissants par l’intelligence et sans scrupules dans le choix des moyens, des fortunes comparativement plus colossales que partout ailleurs. Le capital n’est pas encore assez abondant et surtout n’est pas assez ancien pour s’être disséminé dans tout le corps social, comme il se disséminera avec le cours du temps. D’autre part, l’énorme afflux des émigrants pauvres de l’Europe multiplie les classes inférieures au delà de la proportion qui se produirait naturellement[1]. Heureusement, l’Amérique a dans sa classe de farmers propriétaires, qu’elle sait développer et protéger, un élément social absolument de premier ordre. D’ailleurs au fur et à mesure que les États-Unis tendent à se rapprocher des

  1. Le rapport d’ensemble sur l’immigration aux Etats-Unis, depuis la fondation de la République jusqu’au 1er juillet 1890, publié par le département du Trésor, indique la répartition des immigrants selon leur profession pour la période décennale 1880-1890 : 5 p. 100 appartenaient aux professions libérales ; 10,3 p. 100 à la catégorie des ouvriers ayant un métier (skilled laborers) ; 39,6 étaient de simples manouvriers sans capacité professionnelle ; l’occupation de 2,2 p. 100 n’est pas relevée et le reste, 47,4 p. 100, sont indiqués comme n’ayant pas de profession, c’est-à-dire que ce sont presque exclusivement des femmes et des enfants. La très grande majorité des immigrants qui arrivent aujourd’hui s’accumulent à New-York, dans le Massachussetts, dans la Pennsylvanie où ils encombrent le personnel des manufactures au lieu d’aller dans l’Ouest s’établir comme farmers, ainsi que le faisaient les immigrants d’il y a trente ans.