Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/504

Cette page n’a pas encore été corrigée

tromperait fort si l’on croyait qu’après la destruction de la planche aux assignats les paiements en numéraire eussent été repris. Les engagements de l’État étaient acquittés au moyen d’ordonnances de paiement délivrées sans crédits et surtout sans argent en caisse, uniquement pour calmer l’impatience des ayants droit, et ils demeuraient indéfiniment en souffrance. Les porteurs étaient obligés de les négocier à vil prix :

Là, c’est un fournisseur qui est obligé de perdre 3/4 sur son décompte pour se procurer du numéraire ; ailleurs, ce sont des bons sur les receveurs des départements, ou sur l’acquit des domaines aliénés, que le même fournisseur donne à une perte énorme. Si le Trésor en tirait quelque avantage, il y aurait peut-être moins d’immoralité dans ce commerce. Mais le grand mal est qu’en définitif le Trésor supporte le payement de ces capitaux vendus et revendus mille fois à bas prix[1].

Ces bons finissaient par être payés en espèces ; mais ils l’étaient non pas dans un ordre déterminé par leur date, mais par préférence, selon que les ministres ou plus tard les directeurs leur accordaient un visa d’urgence. L’obtention de ces visas était uniquement une affaire d’influence et de corruption, et c’est par ce moyen que des fournisseurs et des hommes politiques firent en ce temps de détresse de si scandaleuses fortunes[2]. Une autre source de spéculations malsaines, provenant aussi du désordre administratif de l’époque, fut l’autorisation donnée au Directoire par diverses lois d’assigner à des fournisseurs privilégiés des lettres de crédit délivrées d’avance sur des recettes présumables[3]. Le ministre des Finances, Gaudin, après le 18 brumaire, signalait ainsi les abus de cette pratique :

Les recettes avaient été déléguées d’avance à des entrepreneurs ou

  1. Journal d’économie publique, de morale et de politique, par Rœderer, n° de vendémiaire an VI, cité par R. Stourm, les Finances de l’ancien régime et de la Révolution, t. II, p. 345.
  2. V. la Dot de Suzette par Fievée. L’auteur l’a écrit en 1797 et il met en cène un enrichi de ce temps. Fievée avait des qualités sérieuses d’observation.
  3. R. Stourm, ibid., t. II ; p. 349 et les chapitres intitulés : Corruption des fonctionnaires et Esprit financier des Jacobins.