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comme gage des assignats, favorisèrent leur acquisition par des compagnies de spéculateurs, et il en vint de tous les points du monde. Un des plus connus, parce qu’il se jeta dans la politique, est le baron prussien Anacharsis Cloots. Il gagna une énorme fortune dans ces spéculations.

Un érudit distingué, M. Alfred des Cilleuls, dans un travail encore inédit, établit, d’après des relevés faits aux archives, que les ventes de biens nationaux de toutes les catégories, depuis le commencement des confiscations jusqu’à l’an VI, ont augmenté le nombre des propriétaires seulement de cent mille. L’insignifiance de ce résultat, acquis au prix d’une dépréciation énorme de la propriété, qui a duré jusqu’à la loi réparatrice de 1825, est la condamnation éclatante de la Révolution au point de vue social. Ce travail, où des documents négligés jusqu’ici ont été mis en œuvre, fera définitivement justice de la légende de la Révolution partageant le sol aux paysans.

Les spéculateurs en accaparèrent la plus grande part[1]. Le récit suivant de Capefigue en sera un exemple et montre comment débuta le célèbre réformateur Saint-Simon.

D’après la loi qui autorisait la vente des propriétés nationales, les acquéreurs de ces biens entraient en possession après le paiement du premier douzième ; les autres douzièmes se payaient par intervalles assez longs. Ces facilités de paiement, jointes à la facilité de s’acquitter en assignats, donnaient aux acquéreurs des avantages universels et les aventuriers de toute nation se précipitèrent sur ces dépouilles… Les plus avides parmi ces acquéreurs, liés avec tout le

  1. En mai 1795 notamment, les biens nationaux furent offerts en vente directement et sans enchères pour trois fois leur valeur de 1790 en assignats, qui à ce moment ne valaient que 6 p. 100. On donnait ces biens en réalité pour le cinquième de leur valeur nominale. « Pour certains biens, on vit jusqu’à plusieurs centaines de soumissions. A Charenton, il en fut fait 860 pour un domaine provenant des Pères de la Merci ; il en fut fait jusqu’à 500 pour un autre. On encombrait les hôtels des districts. De simples commis, des gens sans fortune, mais dans les mains desquels se trouvaient momentanément des sommes en assignats, couraient soumissionner les biens. Comme ils n’étaient tenus de payer sur-le-champ qu’un sixième, et le reste dans plusieurs mois, ils achetaient, avec des sommes minimes, des biens considérables pour les revendre avec bénéfice à ceux qui s’étaient moins hâtés. Grâce à cet empressement, des domaines, que les administrateurs ne savaient pas être devenus propriétés nationales, étaient signalés comme tels. » A. Thiers, Histoire de la Révolution française (13e édit. t. VII), p. 243.