Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/495

Cette page n’a pas encore été corrigée

La spéculation portait aussi sur les rentes. Necker, pendant son premier ministère, s’était appuyé habilement sur la banque genevoise établie en France et à l’étranger pour faire couvrir plusieurs fois certains de ses emprunts et il avait été assez habile pour ne laisser aucune trace de ces opérations plus ou moins régulières. Après lui, de Calonne, qui pendant ses quatre années de ministère (1783-1787), multipliait les emprunts et même plaçait sans publicité des rentes à la Bourse, continua ces tentatives d’influencer les cours ; mais sa base d’opération était moins solide et il avait dans la Haute-Banque des adversaires qui ne le laissèrent pas manipuler le marché à son gré. Il voulut essayer de soutenir les cours à la veille de l’Assemblée des notables. Le dernier emprunt de 125 millions de livres, qu’il avait émis au commencement de 1787, n’était en effet pas encore classé. Calonne fit sortir du Trésor onze millions pour faire soutenir le cours de la rente, des actions de la Compagnie des Indes et de la Compagnie des eaux de Paris par des banquiers affidés au moyen de reports. Ces manœuvres ne purent conjurer la baisse et le Trésor y perdit plusieurs millions[1].

Les procédés de la spéculation étaient les mêmes qu’aujourd’hui : ventes à découvert, reports pour prolonger les achats à terme faits par les haussiers, marchés à primes. Ces derniers étaient d’autant plus dangereux qu’ils étaient faits pour des liquidations éloignées. Un groupe de spéculateurs, à la tête desquels était l’abbé d’Espagnac, avait organisé en mars 1787 un corner sur les actions de la Compagnie des Indes. Il en avait acheté à terme 46.000 livrables à la fin du mois, alors qu’il n’en existait sur la place que 37.000 ! Mirabeau constatait que le droit d’escompte donné à l’acheteur dans le but de décourager les ventes à découvert (chap. ix, § 13) fournissait un moyen assuré aux spéculateurs à la hausse, quand ils étaient assez puissants pour étrangler leurs adversaires. Personne n’avait cure des arrêts du Conseil que Calonne avait

  1. Les Interventions du Trésor à la Bourse depuis cent ans, par Léon Say (1886), pp. 2 et suiv.