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XI. — Les soixante années, qui s’écoulèrent depuis le ministère du cardinal Fleury jusqu’à la Révolution, ont été une époque de progrès économique. Aucun grand changement ne la marque ; mais la continuité même de ce progrès fit son importance. Quand Turgot arriva au ministère, une profonde transformation s’était déjà accomplie dans les conditions générales du pays : les manufactures étaient fort développées ; le commerce international, particulièrement avec l’Angleterre, avait pris une grande importance ; tous les prix étaient en mouvement ascendant, parce que la consommation s’était accrue avec la production et que la monnaie circulait plus facilement et plus rapidement[1].

La multiplication du papier commercial rendait nécessaire l’établissement d’une banque d’escompte et d’émission et faisait sentir l’infériorité où la France se trouvait sous ce rapport comparativement à l’Angleterre. Deux tentatives faites en 1769 et 1772 n’avaient pas réussi ; mais, grâce au patronage de Turgot, en 1776, la Caisse d’escompte fut créée au capital de 15 millions divisé en 5.000 actions de 3.000 livres chacune. Elle se livra avec succès à l’escompte. En 1783, un emprunt occulte de 6 millions de livres fait par le Trésor amena momentanément le cours forcé de ses billets ; mais deux mois après cette crise était conjurée. La Caisse d’escompte reprit le cours normal de ses opérations et en 1787 sa circulation atteignait 100 millions. Tout ce qu’on peut lui reprocher, c’est d’avoir favorisé moins le commerce que la Banque et de s’être mêlée, sous l’influence de M. de Calonne, en 1785, plus qu’elle ne l’eût dû, aux spéculations de la Bourse (§ 12). En 1787, M. de Calonne fit porter son capital à 100 millions au moyen d’une souscription d’actions nouvelles qui fut rapidement couverte ; sur le produit de cette souscription, 70 millions furent prêtés à l’État. Dès ce moment le Trésor aux abois ne cessa de lui faire de nouveaux emprunts. La plupart étaient occultes et avaient gravement compromis son fonctionnement,

  1. V. entre autres le témoignage d’Arthur Young, Voyages en France (édi­tion de Lavergne), t. II, p. 274.