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ne rougissent point de faire un trafic de papier encore plus méprisable. Ce nouveau genre d’industrie, sans peine, sans travail, donne plus de richesse en un moment que les voies naturelles n’en donneraient en une année et souvent même en un siècle. Quel dégoût un tel spectacle n’est-il pas capable d’inspirer à presque tous les hommes pour les travaux pénibles soit du service domestique, soit de l’agriculture, soit des arts et manufactures, soit même du véritable commerce et des autres professions où l’on achète une fortune souvent médiocre par l’occupation et les fatigues de toute sa vie… Il y a une proportion naturelle entre le nombre des citoyens, qui doivent travailler pour eux-mêmes ou pour les autres et le nombre de ceux qui vivent par le travail d’autrui… Si le nombre des travailleurs devient trop grand, celui des oisifs n’est plus en état de payer le travail des premiers et c’est le mal qu’un prince fait à son royaume, quand il y diminue trop le nombre des riches et qu’il y augmente trop le nombre des pauvres. Si, au contraire, le nombre des travailleurs diminue au delà de la juste proportion et que le nombre des oisifs augmente de la même manière, il n’y a plus assez d’hommes pour fournir aux besoins de tout un royaume, et les travailleurs sentant leur force, c’est-à-dire l’extrême besoin que l’on a d’eux, mettent un prix si haut à leur travail, qu’il y a un grand nombre des oisifs, et de ceux mêmes qu’on regardait auparavant comme fort aisés, qui ne peuvent plus suffire à leur dépense ordinaire ; en sorte qu’il ne reste plus qu’une petite partie des oisifs, qui, ayant augmenté leurs richesses par des voies extraordinaires, puissent aussi soutenir cette augmentation de dépense. Il se forme donc comme trois classes de citoyens dans un État. Les deux extrémités font fortune ; les travailleurs gagnent plus, soit parce qu’ils sont réduits à un moindre nombre, soit parce qu’ils font acheter plus cher leur travail. Les riches du premier ordre, qui ont trouvé des sources nouvelles et inconnues d’une richesse purement artificielle, sont dans l’opulence ; mais ils ne forment que le plus petit nombre sans aucune comparaison. Entre ces deux extrémités, le milieu, moins nombreux à la vérité que la première classe, mais beaucoup plus nombreux que la dernière, est composé des plus sages et des plus vertueuses familles, à qui leur première fortune avait procuré une éducation libérale et que leur vertu a éloignées de la route nouvelle des richesses, est dans la souffrance, parce que le bien qu’il avait ne lui suffit plus pour vivre et qu’il ne lui est pas possible de commencer à travailler pour en gagner…

Éblouis d’un changement si soudain et comme enivrés d’une fortune inespérée, dont ils croiront ne voir jamais la fin, ils la trouveront