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des actions pour soutenir les cours par la caisse de la Compagnie. Entraînés par l’exemple des fortunes rapides réalisées pendant les deux années ou les actions avaient constamment monté, les acheteurs ne cherchaient qu’à revendre ; aucun n’entendait faire un placement. C’étaient uniquement des jeux sur la différence. Law leur avait donné l’exemple en introduisant à la rue Quinquempoix les marchés à prime, qui étaient depuis longtemps usités en Hollande. En mai 1719, quand les actions ne valaient que 300 livres, il en acheta publiquement 200 livrables dans six mois à 500 livres, dont 200 de prime payées comptant. Il renouvela plusieurs fois cette opération qui se généralisa. En 1720, quand les actions étaient déjà en baisse, on faisait des primes à un louis d’or pour le lendemain. Barrême, le célèbre comptable, nourrissait cent actions tous les jours à ce taux.

Cet excès de la spéculation, qui aurait suffi par lui-même pour amener une crise comme celle de l’Union générale de nos jours, eut des conséquences bien plus graves à cause de la solidarité imprudemment créée entre la Compagnie du Mississipi et les finances publiques. La Compagnie, en effet, outre les principales fermes et le service de Trésorerie, s’était chargée de rembourser toute la dette de l’État et le prix de tous les offices ; elle avait monopolisé presque tout le commerce de la France avec les pays lointains et entrepris la colonisation de la Louisiane. Le grand adversaire de Law, Paris-Duverney, le disait judicieusement : « elle embrassait trop de soins à la fois pour s’en acquitter avec succès et elle devait y succomber. Le Commerce et la Finance doivent se tendre la main réciproquement pour se donner du secours ; mais leurs opérations sont trop différentes pour s’allier ». Les bénéfices réalisés par la Compagnie, même pendant ses deux années de prospérité, ne pouvaient donner des revenus suffisants à un capital aussi fortement majoré.

Un premier symptôme d’ébranlement fut la prime que les espèces monnayées firent sur les billets[1]. [fin page452-453]

  1. Au mois de mai 1718, le prix du marc d’argent fin s’éleva tout à coup de 43 livres à 65, et, depuis cette époque jusqu’au mois de mars 1724, il varia de 61 livres à 130. Leber, Appréciation de la fortune privée au moyen âge (2e édit.), p. 104.