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Là où le peuple est écrasé par la souffrance physique, il demeure inerte. Voilà ce que démontre l’observation des faits contemporains comme l’étude des faits historiques. C’est ainsi que le progrès économique est au développement de la démocratie dans le rapport de cause à effet.

VIII. — Le progrès général de la masse, le développement constant d’une classe moyenne inférieure émergeant du sein des travailleurs manuels qui savent épargner et s’ingénier : tels sont les traits caractéristiques de notre état social moderne fondé sur la liberté du travail et l’égalité civile. Ils suffisent assurément à le justifier ; mais il ne faut pas perdre de vue que ce progrès se répartit sur une masse si vaste qu’il s’atténue forcément pour les individus. Aussi, jamais l’effort pour l’amélioration du sort des classes populaires ne saurait s’arrêter, et l’existence d’une catégorie de déclassés et de victimes laissera toujours à la charité une large place dans l’économie sociale.

Il ne faut pas non plus fermer les yeux sur une transformation sociale qui est en action depuis le xvie siècle et qui a eu pour résultat de détruire certaines classes moyennes très remarquables par leur valeur politique et morale. Le grand fractionnement des marchés, l’état d’isolement dans lequel chaque canton vivait, la prédominance presque absolue de l’état d’économie naturelle qui caractérisaient les conditions économiques du moyen âge proprement dit, du xiii° siècle par exemple, favorisaient le développement des petits propriétaires ruraux ou tenanciers héréditaires ainsi que des artisans urbains. Dès le xvie siècle, à la suite des guerres, mais aussi du progrès des voies de communication et de l’économie basée sur l’échange, les petites exploitations rurales autonomes ont été compromises[1]. Leur nombre a diminué dans tous les pays, mais surtout dans l’Italie du Sud et en Angleterre. La

  1. D’après M. Knapp, les Devoirs de la vassalité et l’organisation économique fondée sur le capital, dans le Jarhbuch fur Gezetgebung, Verwaltung de Schmoller (Leipzig, 2e livraison 1891), « les premiers capitalistes, ce sont les anciens grands seigneurs fonciers. Les malheurs dont les paysans furent victimes pendant la guerre de Trente ans et pendant celle de Sept ans contribuèrent à accroître les grands domaines. Les seigneurs, réunissant plusieurs fermes et plaçant la tête de chacune un fermier, se transformèrent en rentiers. Les redevances en argent se substituèrent aux redevances en nature… » En réalité, c’est au xvie siècle, et non pas seulement au xviiie, qu’il faut reporter le commencement de cette transformation économique.