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bénéficient pas des facilités de versement faites aux grands établissements. Ils doivent donc acheter de ceux-ci en leur payant une prime[1]. M. Léon Say l’a justement fait remarquer : un emprunt met d’autant plus de temps à se classer dans le public qu’il a été souscrit un plus grand nombre de fois !

La manipulation de la Bourse par l’action combinée du gouvernement et des syndicats pour préparer l’émission d’un emprunt par souscription publique a été décrite par M. Clément Juglar, dans une étude sur les émissions des emprunts du 17 mars 1881, du 12 février 1884, du 10 mai 1886, du 10 janvier 1891. Pendant les quelques mois qui précèdent, une campagne de hausse est menée de manière à faire croire au public que le nouvel emprunt fera prime. On l’émet à deux ou trois francs au-dessous du dernier cours obtenu ; le public souscrit, ou plutôt se hâte d’acheter, en payant une prime, les rentes dont les grands établissements financiers se sont assurés. Pendant un mois, les cours se soutiennent pour leur faciliter l’écoulement de ce stock ; puis on laisse aller le marché et l’emprunt retombe à son taux naturel, c’est-à-dire au-dessous de son taux d’émission. Ainsi avant l’émission du 17 mars 1881, le 3 p. 100 amortissable cotait 87,20 :on l’émet à 83,25 ; un mois après il était à 83,40. Avant l’emprunt du 10 janvier 1891,1e 3 p. 100 perpétuel avait été poussé à 98,55 : on émet le nouvel emprunt à 92,55 : en mai il a touché 92,20[2]. Les banquiers, qui prêtent leur concours au gouvernement, ne

  1. Une agence véreuse, qui a fait faillite en mars 1892, la Banque de l’industrie et des chemins de fer, a fait de nombreuses victimes en exploitant cette situation. Elle avait promis l’irréductibilité des souscriptions à l’emprunt du 10 janvier 1891, quel que fût leur montant, mais en se réservant de livrer les titres seulement à la libération. Au bout d’un an, il n’y avait plus dans sa caisse ni argent ni titres. 75.000 petits rentiers ont été victimes de cette spoliation, qui ne l’eussent vraisemblablement pas été, si la souscription publique leur eût été accessible.
  2. L’intervention du Trésor et des syndicats dans les émissions d’emprunts dans l’Economiste français du 16 mai 1891. M. Clément Juglar signale même une manœuvre particulière lors de l’émission du 10 janvier 1891 : « C’est surtout en liquidation que tout est faussé. Le taux des reports est fait à la main, pour rien sur le 3 p. 100 ancien et sur le nouveau, cher sur l’amortissable. Ce taux n’indique pas la situation du marché : sans parler des reports les plus nombreux que l’on fait en dehors, on cote, 0,06 de report le premier jour et le lendemain, quand tout est presque terminé, 0 fr. 18. Si on cote un bas cours en liquidation, on le fera disparaître par un cours de compensation fait à la main ».