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de la propriété foncière ou d’exploitations de pays lointains semblables à celles qui se sont produites en Angleterre. M. P. Leroy-Beaulieu est certainement dans le vrai, quand il estime qu’il n’existe pas plus de 700 ou 800 personnes ayant 250.000 francs de rente ou davantage, ni plus de 18.000 à 20.000 revenus compris entre 50.000 et 250.000 fr. Les fortunes colossales d’un Hirsch ou d’un Rothschild sont sans doute des faits forts importants, car à certains moments leurs possesseurs peuvent exercer une action prépondérante sur les marchés ; mais, comparativement à la masse de la richesse nationale, ces fortunes sont peu de choses. Elles sont comme la pointe d’une pyramide qui s’élève très haut et attire tous les regards ; le centre de gravité ne s’en trouve pas moins près du sol dans les larges assises qui composent ses échelons inférieurs.

Ce qui prouve bien le grand fait de l’amélioration de la condition des classes populaires, malgré les souffrances des déclassés qui s’accumulent dans les bas-fonds des grandes cités, c’est que, dans tous les pays où le capital est considérable, les ouvriers nationaux ne veulent plus remplir les fonctions les plus pénibles du travail. Ils les abandonnent à des immigrants étrangers qui manquent de travail ou étaient plus malheureux dans leur patrie. Ce n’est plus dans les états de l’Europe occidentale qu’on trouverait à lever des armées de volontaires, comme on en formait si facilement au siècle dernier[1]. Les classes populaires ont un autre idéal de vie et l’émigration contemporaine est autant déterminée par le désir de s’élever que par la souffrance actuelle. L’inquiétude générale, qui s’est emparée en ce siècle des masses ouvrières dans tous les pays civilisés, a sans doute des causes morales ; mais elle s’est aussi développé en proportion des progrès réalisés.

  1. L’armée anglaise se recrute presque exclusivement par des Irlandais. Son recrutement devient de plus en plus difficile et le niveau moral des recrues baisse ; car tous les hommes énergiques aiment mieux émigrer. Comp. le curieux livre de M. Albert Babeau, l’Armée sous l’ancien régime, sur la manière dont le recrutement s’opérait jadis en France. Il y a un demi-siècle, la Suisse a aboli les capitulations qui assuraient autrefois des débouchés à ses jeunes gens de toutes les classes dans les armées du roi de France, du Pape, du roi de Naples.