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les actions minières et métallurgiques en exploitant à outrance la reprise des affaires industrielles de 1888-1889.

Sans doute, les ruines causées par ces krachs n’ont pas la gravité des destructions d’une guerre. Il n’y a de véritablement détruits que les capitaux engagés dans des affaires malheureuses. Il ne faut pas accepter au pied de la lettre les calculs déduits de la comparaison des cours de la Bourse avant et après la catastrophe. L’action de Suez, qui était cotée le 5 janvier 1882 3.440 francs et qui le 2 février tombait à 2.010 francs, valait en réalité exactement la même chose à ces deux dates. Il en était de même des chemins de fer, des grandes compagnies d’assurances, que la chute de l’Union générale ne pouvait toucher que fort indirectement. Une bulle de savon s’était crevée et voilà tout. Il n’y avait eu, semble-t-il, par le jeu des spéculations, que des transferts de richesse de la poche des uns dans celle des autres. Et cependant il y avait eu autre chose ; car la richesse n’est pas exclusivement matérielle. M. Léon Say le disait fort justement :

« Ceux qui gagnent, gagnent toujours moins que ceux qui perdent ne perdent et ils laissent une forte somme entre les mains d’intermédiaires qui gagnent sans avoir mis au jeu. C’est assez juste d’ailleurs ; car il arrive quelquefois aux courtiers de l’agiotage d’être pris entre l’arbre et l’écorce et de payer pour les mauvais débiteurs ; ils rendent alors en une fois ce qu’ils ont prélevé de courtages pendant plusieurs années. On peut ajouter qu’en passant du perdant au gagnant, les capitaux se transforment très malheureusement, et que ce qui constituait un placement permanent dans la fortune du perdant devient seulement la simple ressource de dépenses quotidiennes dans la fortune du gagnant.

On n’a qu’à relire le mémoire de d’Aguesseau, écrit au milieu de l’apogée du Système, pour voir la profonde perturbation causée alors dans les rapports économiques par la hausse des immeubles, par l’exagération du prix des services de luxe et des gages des domestiques, par le déclassement social dû à tant de fortunes soudaines, par l’appauvrissement comparatif de ceux que leur sagesse ou les circonstances