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présente :les lanceurs d’affaires en profitent pour faire éclore des sociétés anonymes par centaines et les syndicats, grâce à la disposition générale, font rapidement monter leurs actions à la Bourse. Chacun cherche à réaliser une plus-value sur ses titres sans se préoccuper du dividende : l’entraînement de l’agiotage gagne ainsi des couches de plus en plus profondes.

Parfois ce mouvement se personnifie dans un homme qui fascine le public et devient le héros de la spéculation, en sorte que, même après sa chute, d’étonnantes fidélités s’attachent à son malheur. Law, Mirès, Bontoux en sont des exemples. En vain les économistes multiplient les avertissements. Les gens aveuglés par l’espoir d’un coup de fortune ne veulent rien entendre. Ce qui est plus étonnant, c’est que les meneurs de ces mouvements, dont la capacité intellectuelle est indiscutable, ne voient pas sous leurs pieds le précipice que les principes économiques, l’expérience du passé, le simple bon sens leur montrent ; mais il y a un vertige des millions comme il y a un vertige des montagnes. La force des choses, que nul homme ne peut dominer ni en politique ni en finances, reprend ses droits, et, après quelques craquements précurseurs, le jour arrive où, une quantité considérable de capitaux ayant été détruite dans des affaires mal conçues et les disponibilités des spéculateurs n’étant plus en rapport avec leurs engagements, tout cet édifice fantastique s’écroule. La panique s’en mêlant, les bonnes valeurs sont elle-mêmes momentanément dépréciées, et ce qui est plus grave, le public réclame brusquement ses dépôts à vue aux banques. Les plus solides peuvent être compromises et une crise monétaire s’ajoute alors à la crise de Bourse.

Sans remonter au delà de vingt ans, voilà l’histoire qu’on a vue se répéter en Allemagne et en Autriche en mai 1873 ; à Paris, en janvier 1882 ; à New-York, en 1877, 1883 et 1890 ; à Londres, en novembre 1890, quand la grande maison Baring a succombé ; à Berlin encore en novembre 1891, à la suite de la spéculation que les banques ont excitée sur