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qui, surveillant toujours le marché, y interviennent de temps à autre avec une supériorité qui écrase fatalement le peuple des spéculateurs ordinaires, s’ils n’ont pas la fortune de se trouver dans leur jeu.

Les hommes doués du génie de la spéculation et possédant des moyens puissants, dit M. Alph. Courtois, prennent souvent en mains la direction du marché et, par des combinaisons plus ou moins habiles, réussissent dans une certaine proportion à rallier de gré ou de force toutes les opinions à la leur et à opérer ainsi le mouvement qu’ils ont en vue… Ces hommes, dans d’autres temps, auraient peut-être dominé leur pays, comme en ce siècle ils mènent la Bourse…

On est profondément étonné, dit de son côté M. Neymarck, au fur et à mesure qu’on étudie le marché financier, de voir par combien peu de personnes sont faites sérieusement les affaires sérieuses et combien est restreint le nombre de ceux qui composent cet état-major… Ainsi, pour les grandes affaires, pour les opérations importantes, larges, étendues, un personnel extrêmement limité et rare ; au contraire, pour les affaires médiocres, étroites, un personnel nombreux, surabondant, et ce dernier, on admettra bien que nous ne consentions pas à le comprendre dans le monde financier[1].

Sans doute les rois de la Finance n’ont pas la puissance d’agir à contre-sens des impressions du public, de faire la hausse quand il y a des raisons de fond pour la baisse ou réciproquement : leur art consiste, dans les accalmies qui se produisent forcément après les crises, quand le public a été trop éprouvé, à se recueillir, à vivre de leurs revenus, à laisser aller le marché, suivant une expression consacrée ; puis à reparaître en scène, quand une situation politique ou économique nouvelle leur permet d’imprimer à la cote des variations susceptibles de donner des gains considérables. Or, comme l’indique M. Courtois, le spéculateur de ce rang, qui ne peut sans doute susciter les événements, a la puissance d’en exagérer l’importance par ses combinaisons. Non seulement des achats ou des ventes à terme poursuivies avec des capitaux très abondants faussent la cote, mais des achats au comptant peuvent constituer un véritable accaparement

  1. Des opérations de Bourse (4e édition. Paris, 1861), p. 41. Journal des économistes, mars 1884.