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était opposée à l’agent chez qui l’opération se soldait en perte, tandis que celui chez qui un bénéfice avait été réalisé payait le joueur de mauvaise foi ! Le vice de cette jurisprudence était qu’en s’en tenant exclusivement à un signe extérieur, le règlement par différences, elle atteignait des opérations sérieuses et rationnelles, et c’est pourquoi la pratique n’en tenait aucun compte. Le jeu, qui est dans certaines conditions un délit au point de vue moral, réside essentiellement dans l’intention, et le juge ne peut saisir cette intention sans tomber dans l’arbitraire. Une expérience de cent cinquante ans a démontré la vérité de l’observation de Daguesseau dans son Mémoire sur le commerce des actions de la Compagnie des Indes, à savoir : qu’il est impossible de régler la Bourse à cause de la nature même de ses transactions[1]. On en est arrivé partout au même point : la seule différence est que, en France, en Allemagne, en Italie, en Angleterre, la loi s’est accommodée formellement à la pratique, tandis que, ailleurs, aux États-Unis notamment, elle reste lettre morte ou est un objet de dérision[2]. La Bourse, malgré le mal qui s’y produit inévitablement, est devenue un des organes essentiels de l’ordre économique, auquel on ne peut toucher imprudemment. A la fin de 1891 après la double campagne de hausse et de baisse que la Haute-Banque a poursuivie

  1. Il n’est resté de la législation, qui condamnait les marchés à terme, que le droit d’escompte pour l’acheteur à terme. Il consiste dans la faculté pour lui d’exiger les titres avant la liquidation moyennant le paiement anticipé. Personne, pensait-on, ne vendrait des titres à terme sans avoir ces titres en sa possession au moment du contrat et l’on ferait ainsi échec aux marchés ne portant dans l’intention initiale des parties que sur des différences. Cette disposition n’a jamais empêché le jeu et elle est aujourd’hui en contradiction avec le principe de la loi de 1885. Même, contrairement à l’intention du législateur, la faculté d’escompte donne lieu à une manœuvre de Bourse toute spéciale. Quand il y a eu beaucoup de ventes à découvert, les acheteurs, qui veulent maintenir la hausse ou l’exagérer, réclament l’escompte pour forcer les vendeurs à se racheter à tout prix. C’est notamment ce qui a eu lieu en mai 1890, quand un parti à la baisse s’était formé sur les actions du Crédit foncier ; à un certain moment les haussiers acheteurs à terme ont exercé la faculté d’escompter. L’article 63 du décret du 7 octobre 1890 a cependant fait cesser un des plus grands abus auxquels elle donnait lieu, en décidant que, « dans aucun cas, celui qui a bénéficié d’un avantage quelconque pour effectuer une livraison en report ne peut user de la faculté d’escompte ».
  2. V. sur l’historique des lois contre la Bourse dans les pays allemands et sur l’état actuel, l’article Bœrse dans le Staatslexikon de la Gœrresgesellschaft.