Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/389

Cette page n’a pas encore été corrigée

des conjectures relatives aux événements politiques et économiques ; mais avoir des connaissances exactes sur les chances de plus-value ou de moins-value des titres n’est pas chose facile ; puis, pour en tirer un parti avantageux, pour faire une spéculation au sens propre du mot, il faut que ces connaissances ne soient pas communes à tout le monde. En d’autres termes, la spéculation suivie et régulière sur les valeurs mobilières exige une préparation et une somme de travail et des qualités intellectuelles au moins égales à celles de toute autre profession. Les personnes qui ne spéculent qu’irrégulièrement, par passe-temps, doivent forcément être ruinées, ne fût-ce que par des raisons psychologiques. Elles obéissent à des impressions ou à des conceptions superficielles, tandis que les spéculateurs de profession, qui sont leur contrepartie, agissent suivant des règles éprouvées et des indications raisonnées[1]. Ils ont même des procédés spéciaux, de véritables feintes, comme à la chasse, pour faire tomber dans leurs filets les spéculateurs d’aventure.

Il y a d’ailleurs des raisons mathématiques pour que les joueurs de cette catégorie soient fatalement ruinés au bout d’un certain temps par les reports et les courtages qui se renouvellent à chaque liquidation. En effet, sur l’ensemble de plusieurs années, ces reports et ces courtages dépassent sensiblement la plus-value ou la moins-value des titres qui constitue le bénéfice de celui qui gagne, absolument comme à la roulette la banque a toujours raison des joueurs.

Aussi, bon nombre de joueurs à la Bourse, qui ont commencé par être des innocents et qui sont surtout des cupides, cherchent-ils à se faire les familiers des lanceurs d’affaires et des tout-puissants spéculateurs pour se mettre dans leur jeu et recueillir les miettes de leur table. Ils deviennent alors

  1. Une des plus grandes erreurs des gens qui spéculent pour la première fois est de croire qu’il y a autant de chances pour la hausse que pour la baisse et que l’événement de leur spéculation dépend du hasard. M. Courtois (des Opérations de Bourse, pp. 64 et suiv.) démontre péremptoirement la folie de prétendre appliquer le calcul des probabilités aux alternances des cours. Ces alternances se produisent suivant des lois économiques, et pour prévoir le moment précis de leur réalisation il faut une grande expérience et même une véritable intuition.